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Avignon 2021

•In 2021• La dernière nuit du monde Frères humains qui après nous vivez… mais où sont les neiges d'antan ?

Convoquer la poésie de François Villon, datée de six siècles auparavant, pour évoquer le sujet transhumaniste au cœur de la fiction envoûtante (terrifiante) de Laurent Gaudé, mise en jeu par Fabrice Murgia, pourrait paraître pur anachronisme… Et pourtant… Sur une scène enneigée soumise aux aléas d'un "temps" déréglé - les flocons artificiels se mêlent ce soir-là à la pluie tombant sur les deux platanes du cloître à ciel ouvert des Célestins -, un homme et une femme tentent de se parler… à distance. Quelle folie risque de les avoir à jamais séparés ?



© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Rêve fou de "l'homme augmenté"… Ou comment une utopie visant à vivre dans le meilleur des mondes futur - via une pilule garantissant une qualité exceptionnelle de sommeil réduit désormais à quarante-cinq minutes - pourrait se transformer potentiellement en cauchemar généralisé… Un monde où il suffirait d'avaler un somnifère puissant pour s'affranchir du temps perdu à dormir. Un temps rêvé sans cauchemar où, libéré des insomnies faisant tourner en rond autour d'obsessions récurrentes débouchant sur un réveil épuisé, chacun disposerait à sa guise d'une journée de vingt-trois heures un quart…

Imagine ce monde… Ça fait rêver non, ce temps libre déplié ? "Imagine", destin d'un rêve fou à plus d'un titre, John Lennon assassiné pour moins. Belle inconscience que celle de sociétés qui, pour s'être coupées des mythes antiques, en ont oublié leur sagesse atemporelle. Prométhée n'a-t-il pas été condamné au supplice pour avoir voulu voler le feu sacré aux Dieux de l'Olympe ? Profiter des connaissances démultipliées de la pharmacologie associée aux avancées abyssales des neurosciences peut-il justifier la transformation de l'homme en matière première parfaite à exploiter, reléguant au second plan l'humanité imparfaite et vibrante de ses imperfections ?

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Dans un dispositif minimaliste à haute valeur poétique, deux zones séparées par un écran sur lequel s'incrustent les visages travaillés comme des tableaux expressionnistes, des témoins et acteurs de ce drame défilent. L'homme, chargé de promouvoir le procédé miracle en l'habillant de slogans coups de poing visant à rendre désirables les nuits réduites à peau de chagrin, et sa compagne, l'amoureuse, abandonnée à elle-même, sacrifiée en refusant le temps accéléré, "se" parlent en soliloques juxtaposés. L'on va suivre leur histoire d'amour contrarié en même temps que la nuit fractionnée devient réalité.

Après avoir cru que l'invention allait apporter un supplément de vie, les dissidents se font de plus en plus nombreux pour déplorer qu'il n'en soit rien. Le Mouvement Nuit Noire, vent debout contre le rétrécissement des vies amputées de leur part nocturne, devient le porte-drapeau de cette résistance… Plus d'insomnies, certes, mais plus de grasse matinée non plus. Du temps supplémentaire gagné sur la nuit, certes, mais pour quel usage ? À qui profite le crime ? Le jour a mangé la nuit, et avec elle ont disparu les souvenirs des rêves laissant place désormais aux cauchemars éveillés. Et le temps retrouvé, aussitôt perdu, se trouve confisqué par les impératifs catégoriques à but productif. Libéralisme oblige.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
"Mes nuits étaient plus belles que vos jours", la déprime semble s'installer. Alors, à chaque effet secondaire causé par la pilule du jour même, la solution d'une nouvelle réponse chimique est administrée. Engrenage fatal. Laver l'affront de la nuit bafouée. Seul un meurtre expiatoire pourrait mettre fin au cataclysme programmé, le sang purificateur se doit de couler.

Opéra visuel et langue ciselée, les deux écritures plastique et littéraire se conjuguent pour transporter dans ce monde d'après dont les prémices plongent leurs rhizomes… dans le monde d'avant, le nôtre. Peut-être, pour s'éviter ce voyage au bout de l'humanité, voyage "représenté" par cette fiction jouant le rôle d'une lanceuse subliminale d'alerte, est-il encore temps de se retirer loin du monde… ou bien alors d'agir de toute urgence pour éviter le grand remplacement qui pourrait avoir lieu non sous l'effet de peurs fantasmées à couleur de peau différente, mais sous l'effet du ver rongeant le fruit de l'intérieur. Ce danger non fictif mais bien réel porte le nom d'une doctrine "re-connue", le transhumanisme.

Le transhumanisme n'est pas un humanisme. "Frères humains qui après nous vivez", garantissez-nous que la neige ne viendra pas servir de linceul à la folle humanité.

Vu au Cloître des Célestins à Avignon, le lundi 12 juillet à 22 h.

"La dernière nuit du monde"

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.
Spectacle créé le 7 juillet 2021 au Festival d'Avignon.
Texte : Laurent Gaudé.
Mise en scène : Fabrice Murgia.
Assistante à la mise en scène : Véronique Leroy.
Avec : Fabrice Murgia, Nancy Nkusi.
Scénographie : Vincent Lemaire.
Création vidéo : Giacinto Caponio assisté de Dimitri Petrovi.
Lumière : Emily Brassier.
Son : Brecht Beuselinck.
Traduction anglaise : Sue Rose.
Durée : 1 h 20.
"La Dernière Nuit du monde" de Laurent Gaudé est publié aux éditions Actes Sud Papiers.

•Avignon In 2021•
Du 7 au 13 juillet 2021.
Tous les jours à 22 h, relâche le 11 juillet.
Cloître des Célestins, Avignon (84).
Du 17 au 20 juillet 2021.
Tous les jours à 22 h.
Cloître des Carmes, Avignon (84).
>> festival-avignon.com
Réservations : 04 90 14 14 14.

Tournée
31 août au 1er septembre 2021 : Théâtre de Liège, Liège (Belgique).
11 septembre 2021 : Centre culturel de Soumagne, Soumagne (Belgique).
14 au 18 septembre 2021 : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).
6 au 8 octobre 2021 : L'Ancre, Charleroi (Belgique).
12 au 13 octobre 2021 : Toneelhuis, Anvers (Belgique).
21 au 24 octobre 2021 : Centro Dramático Nacional, Madrid (Espagne).
1er mars 2022 : Théâtres en Dracénie, Draguignan (83).
8 mars 2022 : Cultuurcentrum Brugge, Brugge (Belgique).
11 au 12 mars 2022 : Central - Le Théâtre, La Louvière (Belgique).
16 au 17 mars 2022 : Scène Nationale d'Albi, Albi (81).
22 mars 2022 : Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine (94).
24 au 26 mars 2022 : Théâtre de Namur, Namur (Belgique).
10 au 14 mai 2022 : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).

Yves Kafka
Vendredi 16 Juillet 2021

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
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"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023