La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Paradis des autres"… Une quête libertaire pour retrouver un paradis perdu... à réinventer !

"Le Paradis des autres", Le Cirque Électrique, Paris

Et si le "Paradis" existait… Alors d'accord, imaginons-le un instant… Tentons-le… Mais manque de pot, ce n'est pas le mien, enfin pas celui de ma religion ! À chaque monothéisme, sa croyance, son paradis, et celui de l'un ne ferait pas forcément le bonheur de l'autre en cas d'erreur… Et celle-ci peut vite paraître insupportable et longue quand l'éternité est au rendez-vous !



© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Au début sont les ablutions, sur le corps dénudé d'un défunt, gestique rituelle et symbolique, lente, précise et délicate, réalisée par une femme, inscrite au cœur de la pratique religieuse musulmane. Entame d'un chemin menant à l'espace défini et fini qu'est le Paradis, élément sacré parmi d'autres, cadre et songe commun offert par le turbulent trio des monothéismes.

Mais ce n'est pas le bon. Imaginez, en maintenant l'hypothèse de son existence, que, Musulman, vous êtes au paradis des Chrétiens ; ou, Catholique, vous êtes à celui des Juifs… Erreur d'aiguillage manifeste. Même en compagnie d'une belle créature, vous ne vous sentez pas à votre place dans cet espace paradisiaque qui appartient à une autre religion. Et ce nouvel Éden pourrait vite devenir un enfer !

La compagnie Carna (Antoine Germa, Alexandre Blondel et Fabien Casseau, respectivement auteur, chorégraphe et metteur en scène) use ici de multiples écritures artistiques pour questionner les croyances, les périmètres de liberté octroyés dans nos sociétés, l'impact des faits religieux (bienveillants ou négatifs) avec la singularité d'avoir fait naître ces réflexions à la croisée d'événements personnels (de croyants ou non croyants) et de la sociologie des religions.

© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Comme une introduction à un spectacle pluriel, pluridisciplinaire qui va explorer, via la danse, l'oralité, la vidéo, le burlesque, le cirque, la musique, différentes pistes qui pourraient lier la spiritualité à la matérialité des corps organiques, construction et déconstruction de nos expressions, de nos sensations, de nos abstractions intellectuelles ou religieuses, celles-ci pouvant se concrétiser par la ritualisation, la prière, la transe, les osmoses physiques, les logorrhées mentales ou d'autres formes pouvant unir âme et corps, recherche métaphysique, catharsis aux plaisirs, désirs charnels.

Pour tisser cette trame où sont chahutés les clichés et les stéréotypes, multipliant les niveaux de lecture, les formes utilisées sont variés avec la vidéo pour de fausses pubs ou l'élaboration d'ambiances psychédéliques, des effets numériques projetés, ou encore un décor modulable et à "tiroirs" d'une conception très imaginative, mêlant différentes esthétiques, des plus surannées aux plus modernes.

© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Les questionnements posés par "Le Paradis des autres", concrétisés par un séquençage de type cinématographique, se découpent en scènes caricaturales de genre où alternent le cinéma seventies, une conférence télé, des peintures d'icônes, des mini historiettes façon sociologie-fiction…

Ainsi est exposée à nos interrogations, l'éventualité d'un consumérisme religieux, dénaturant le sacré pour le rendre consommable par tous et pouvant éclairer le rapport de la société vis-à-vis du spirituel qui s'efface petit à petit, pertes des valeurs, questionnement sur les croyances, les religions, sur ce qui peut nous pousser à y adhérer ou pas…

Mais, attention, pas de méprise, ici tout passe par l'expression artistique, pas de voie unique, pas de prise de position unilatérale, le débat reste ouvert, tout est (doit être) sujet aux fabulations, à la fertilisation des imaginaires et aux extrapolations. Doivent rester absolument en éveil nos propres capacités d'imagination et notre libre arbitre.

© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Et tout dans ce spectacle est cohérent, la forme épousant parfaitement le fond. Dans leurs mouvements, en solo, duo ou trio, les danseurs (et comédiens) réussissent à offrir des séquences d'une grande beauté où la danse se fait séduction, discours rêvé, charmé, mais aussi déstructuration corporelle saccadée, répliques circulaires rythmées, dévoilements gestuels à connotation sexuelle, échanges animaux ou reproductions figées picturales.

Enfin, en appui de cette virtuosité, la musique de Stéphane Comon (également sound designer des Colporteurs) sculpte un univers sonore, architectural, empruntant différents styles - électro, rock, hip-hop, sirupeux, etc. -, épousant parfaitement les propositions chorégraphiques, tout comme les images projetées associant, dans une irréelle mosaïque, prières, danses ethniques, transe, Femen, culte, pèlerinage traditionnel, procession…

Ici le paradis se raconte, se déforme, s'interroge, se déconstruit, se détruit… pour mieux s'affranchir des carcans religieux, se réinventer, et s'imaginer dans un nouveau monde où l'on peut "parler au plus grand nombre tout en chuchotant à l'oreille de chacun".

"Le Paradis des autres"

© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Mise en mouvement : Alexandre Blondel en collaboration avec les danseurs.
Mise en scène : Fabien Casseau.
Scénario et texte : Antoine Germa.
Interprètes : Alexandre Blondel, Anusha Emrith et Pierre-Emmanuel Sorignet.
Design sonore et scénographie : Stéphane Comon​.
Design vidéo : Mickael Lafontaine.
Lumières et régie générale : Philippe Terrasson.
Costumes : Marie Martineau.
Construction décor : Alexandre Gallion.
Durée : 1 h.
Compagnie Carna.

© Anthony Hamidovic.
© Anthony Hamidovic.
Du 10 au 14 octobre 2018.
Mercredi au samedi à 21 h et dimanche à 17 h.
Le Cirque Électrique, Paris 20e, 09 54 54 47 24.
>> cirque-electrique.com

Gil Chauveau
Jeudi 11 Octobre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024