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Cirque & Rue

"Yé ! (L'eau)" Un cirque impertinent et joyeux, collectif d'acrobates virtuoses, abordant l'épineux problème de l'eau

Ils sont treize, treize acrobates et danseurs, danseuses, originaires de Conakry, en Guinée. Enfants de la rue, ils et elles ont été formé(e)s aux arts de la scène par les meilleurs professionnels africains et français. Leur dernière création, "Yé ! L'eau" est une épopée spectaculaire qui leur permet de faire à la fois la preuve de leur virtuosité et de nous raconter une histoire "écologique" se référant à cette ressource essentielle, rare et précieuse, qu'est l'eau.



© Metlili.net.
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Si l'écologie est (ou devrait être) au centre de nos préoccupations actuelles, l'eau en est une des composantes vitales en tant que ressource élémentaire, incontournable, fondatrice de la vie. Mais celle-ci est aussi liée à l'un de ses contenants, problème majeur en matière d'environnement, la bouteille en plastique. On pense évidemment, dans le domaine des causes provoquant les pollutions terriennes et océaniques, au mode de consommation occidentale… mais cela concerne aussi des continents comme l'Afrique, et ses peuples, subissant ou générant ces dégâts environnementaux, et surtout étant parmi les premières populations victimes de la cruelle pénurie d'eau.

Au-delà de la richesse artistique et créative que nous offre Circus Baobab avec "Yé ! (L'eau)", c'est cette problématique qui est abordée dans le spectacle et qui va être l'un de ses axes narratifs. Les autres étant un hommage au collectif, aux origines (enfants de la rue), aux traditions (danses rituelles, disciplines ancestrales) et à l'obligation, pour la nouvelle génération que ces artistes africains représentent, de répondre aux nouveaux défis environnementaux.

© Metlili.net.
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Ainsi, tous ces sujets abordés s'expriment, se déroulent en différents tableaux avec, pour en donner une forme de dramatisation ou, au contraire, un effet de légèreté festive, une mise en scène très bien conçue où les silences, la lenteur de déplacement, la fixité des protagonistes joue la tension, voire l'affrontement feint, et où les envolées dynamiques, les interpellations (référence à la rue), les plaisanteries et les enthousiastes mouvements de groupes bien réglés tablent, eux, sur une expression de la gaieté, de la jovialité.

Quant à la virtuosité circassienne, elle se révèle ici dans la souplesse et la vélocité des enchaînements (sans temps morts), dans la précision, l'agilité et l'habilité des acrobates (filles et garçons sur le même plan, à égalité)… et des figures acrobatiques exécutées, le tout nourri par une énergie et une fougue étonnante, joyeuse. Ici, pas d'agrès, ce sont les corps qui les remplacent, à la fois initiateurs et instruments des numéros exécutés.

À chaque séquence, la narration est intimement liée à la performance, au jeu acrobatique. Ainsi, se met en place une immense et longue bataille de bouteilles, finissant, écologie oblige, par le ramassage de celles-ci… Suivi par des sauts avec réception sur un matelas élaboré avec un grand filet rempli de bouteilles d'eau vides. C'est aussi un affrontement pour une bouteille d'eau… liquide ressource vitale et clin d'œil aux violences des rues, dans la rue.

© Metlili.net.
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Les chorégraphies sont très élaborées, avec beaucoup d'effets sur les déplacements de groupe, en référence, pour quelques-uns, aux danses traditionnelles, pour d'autres au hip-hop, au krump. Les expressions corporelles sont rythmées, cadencées, syncopées, voire se rapportant à des attitudes animales, félines ou reptiliennes.

Les acrobaties, quant à elles, se situent à la rencontre de la tradition et de la modernité, entre la dextérité des danses rituelles et une écriture scénique nourrie des inventions du cirque contemporain. Les artistes excellent dans les disciplines ancestrales ici revisitées : main à main, portés acrobatiques, pyramides humaines atteignant des hauteurs vertigineuses, danses de masques, contorsions… Finalement, on constate, pour le plaisir des yeux, beaucoup d'inventivité dans les figures acrobatiques, très graphiques, parfois, comme dessinées dans l'espace aérien.

Si Circus Baobab a été l'un des grands finalistes de "La France a un incroyable talent 2022", ce n'est pas un hasard. Ils et elles sont vraiment extrêmement talentueux(ses), n'ayant pas renié leurs origines ancrées en Afrique et dans la rue. Certains jours, on peut les voir sur une place près du Forum des Halles à Paris… et je parie, sans grand risque, que l'on pourra les apprécier dans les rues d'Avignon avant de découvrir le spectacle complet sur la scène de la Scala Provence.

"Yé ! (L'eau)"

© Metlili.net.
© Metlili.net.
Directeur artistique : Kerfalla Bakala Camara.
Metteur en cirque et compositeur : Yann Ecauvre.
Troupe des 13 Acrobates Danseurs : Bangoura Hamidou, Bangoura Momo, Camara Amara Den Wock, Camara Bangaly, Camara Ibrahima Sory, Camara Moussa, Camara Sekou, Keita Aïcha, Sylla Bangaly, Sylla Fode Kaba, Sylla M’Mahawa, Youla Mamadouba, Camara Facinet.
Intervenant acrobatique : Damien Drouin.
Compositeur : Jeremy Manche.
Chorégraphe : Nedjma Benchaïb.
Costumière : Solène Capmas.
Création Lumière : Clément Bonnin.
Régisseur Général : Christophe Lachèvre.
Production : Circus Baobab et R’en Cirque.
Durée : 1 h.

Du 18 avril au 10 juin 2023.
Du mardi au samedi à 21 h ou 19 h, dimanche à 17 h ou 15 h.
Théâtre La Scala, Grande Salle, Paris 10e, 01 40 03 44 30.
>> lascala-paris.fr

Du 7 au 29 juillet 2023.
Théâtre La Scala Provence, 3, rue Pourquery de Boisserin, Avignon.
Réservations : 04 65 00 00 90.
>> lascala-provence.fr

Gil Chauveau
Lundi 29 Mai 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023