La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Xavier Phillips et Mstislav Rostropovitch, une rencontre capitale

Alors que Xavier Phillips s'apprête à donner plusieurs concerts, dont deux avec le Quatuor Les Dissonances en janvier 2018, nous avons rencontré le violoncelliste français avec le désir d'en savoir plus sur ce grand soliste. Retour sur un parcours musical et existentiel marqué par une rencontre exceptionnelle, celle de l'immense Rostropovitch.



© DR.
© DR.
Qu'on l'entende en trio avec François-Frédéric Guy et son frère, le violoniste Jean-Marc Phillips-Varjabédian pour achever une intégrale Beethoven au Festival Berlioz ou dans la Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur de Chostakovitch avec François Dumont au Pornic Classic Festival, en soliste avec orchestre ou avec son quatuor (Quatuor Les Dissonances), le violoncelliste Xavier Phillips impressionne toujours.

Son jeu chorégraphique d'une remarquable expressivité, la puissance de son bras droit qui aurait ravi André Navarra - le maître de son professeur au CNSMD, Philippe Muller - et sa sensibilité d'écorché vif contenue dans une élégance pleine de style (que n'aurait pas reniée un Maurice Gendron) fascinent et interrogent : d'où vient cette passion, cet engagement et ce don de soi sans compromis sur scène ? Écoutons-le.

"Je suis né de parents pianistes et j'ai commencé le violoncelle à six ans. À treize ans, j'ai travaillé avec Jacqueline Heuclin, qui m'a ouvert les portes du conservatoire et du cours de Philippe Muller. J'ai donc été nourri par ces deux écoles, celle de Maurice Gendron par le biais de Jacqueline et celle de Navarra telle que l'avait intégrée P. Muller. Ces années de conservatoire demeurent un très bon souvenir. J'ai pris l'habitude de travailler du matin au soir pour travailler ma technique et approfondir ma connaissance du répertoire. J'ai même abandonné le lycée pour prendre des cours par correspondance et gagner du temps. Mes parents tenaient à ce que mon frère et moi passions le baccalauréat.

Quatuor Les Dissonances © Bernard Martinez.
Quatuor Les Dissonances © Bernard Martinez.
"J'ai bien-sûr voulu me mettre au défi de passer de grands concours internationaux, je suis un compétiteur-né - non pas avec les autres mais vis-à-vis de moi-même. À dix-huit ans, j'ai donc affronté la difficulté de convertir le travail passé dans une prestation sur scène sans retour en arrière possible, que ce soit au Concours Tchaïkovski ou ailleurs. Il a fallu apprendre à canaliser mon énergie. En 1990, je n'ai qu'un désir : pouvoir approcher le génie Rostropovitch en participant au concours qu'il a fondé à Paris. J'y ai récolté le troisième prix ex-aequo avec Anne Gastinel et un Prix spécial mais j'y ai fait la rencontre musicale de ma vie. Le Maître m'avait remarqué et m'a proposé de passer le voir pour jouer pour lui.

"Je l'appelle dès le lendemain (cette rencontre était le rêve de ma vie !) et il me donne rendez-vous plus tard ; il partait enregistrer les Suites de Bach à Vézelay. Je suis donc allé à son retour à son domicile parisien, au 42 de l'avenue Georges Mandel, et cette première leçon a été suivie de beaucoup d'autres. Il n'a pas apprécié les cadeaux que je lui amenais la première fois. Pour lui, avec sa générosité habituelle, ces cours particuliers gratuits n'attendaient aucun retour spécial. C'est ainsi que notre relation de maître à étudiant (puis de disciple) a commencé.

"Je me suis enivré de ses paroles, il m'a donné des leçons de vie et pas uniquement de musique. On ne parlait jamais d'instrument mais des œuvres, de leurs structures, des gens en général et des compositeurs qu'il avait fréquentés et qui avaient composé pour lui. Grâce à lui, nous avons hérité d'un répertoire considérablement augmenté d'œuvres d'une énorme qualité. Je travaillais ces concertos qu'il avait créés, de Prokofiev, de Chostakovitch, de Britten, de Dutilleux et de tant d'autres. Il me racontait des anecdotes sur eux en usant d'images très drôles, très vivantes.

© Céline Nieszawer.
© Céline Nieszawer.
"Il avait un dynamisme et une énergie impressionnants et il m'a emmené plus loin en devenant mon maître à penser. Je me suis extrait de la prison du passé (que j'avais moi-même forgée) et il m'a ouvert les yeux et les oreilles sur la musique et sa vraie dimension : avoir une lecture globale de la partition (et pas seulement de sa propre partie soliste), entrer dans la tête du compositeur pour en comprendre les intentions. Il était passionnant, au-delà des compositeurs qu'il avait connus, sur Schumann par exemple. Ces années ont été essentielles pour moi et j'ai compris qu'il ne fallait surtout pas tomber dans la routine avec l'instrument - ce que j'essaie à mon tour d'enseigner à mes étudiants.

"J'ai eu la chance incroyable d'avoir un maître qui continue à me guider encore aujourd'hui, alors que nous l'avons perdu. Les émotions nombreuses ressenties avec lui vibrent encore en moi. Un jour, avec son accent insensé et son sens de la commedia dell'arte, il m'a demandé si j'étais libre dans les semaines à venir. Il m'a proposé de m'emmener en Amérique pour me diriger dans la Symphonie Concertante de Prokofiev (une œuvre chère à son cœur car il avait participé à son écriture avant de la créer) avec le Washington National Symphony Orchestra. C'était en 2003 et notre relation a pris une autre dimension.

Quatuor Les Dissonances © Gilles Abegg.
Quatuor Les Dissonances © Gilles Abegg.
"Ce fut inoubliable. Il m'a dirigé trois fois et moi je jouais littéralement à sa place. Et puis il y eut encore trois soirées avec le New York Philharmonic. Ce fut un bonheur intense et le couronnement de notre relation. Il m'a mis le pied à l'étrier et quand je suis ensuite retourné le voir, j'ai compris qu'il me signifiait que je n'avais plus besoin de lui (ce n'était pas mon sentiment). Comme un maître d'échec qu'il était, toujours en avance de trois coups, Rostropovitch savait qu'il m'avait tout donné et que désormais je devais continuer seul. Tout cela m'occupe encore aujourd'hui, en particulier avec mes étudiants (Xavier Phillips est, depuis 2013, professeur à la Haute Ecole de Musique de Lausanne, NDLR).

"Transmettre la parole de ces comètes, ces grands compositeurs qu'il avait fréquentés, était un acte d'amour pour lui et je veux faire de même. Aujourd'hui quand j'interprète les œuvres que nous avons jouées ensemble, c'est souvent très différent avec d'autres chefs. Mais c'est un travail toujours passionnant et je comprends encore mieux ce que m'apprenait Rostropovitch à l'époque. Il est en moi et pour ainsi dire, j'ai l'impression que je suis devenu lui (toutes proportions gardées). Son exigence me tient encore éveillé (il pouvait être dictatorial !).

© DR.
© DR.
"Sa droiture, sa philosophie de la vie, je les ai adoptées. Je me surprends à avoir le même sourire, sa façon de dévorer la vie, alors que je suis d'un naturel anxieux, très anxieux même. Sa générosité, sa juvénilité, son intelligence m'irriguent encore, que ce soit en récital ou en dans l'exercice complexe et athlétique du dialogue avec l'orchestre. Je me sens une responsabilité dans tous mes projets (personnels ou collectifs), celle de livrer une somme musicale au public et à mes étudiants avec une vraie dimension artistique et philosophique. "Ma vie s'articule autour de la musique et des voyages. C'est simple et je voudrais continuer comme cela.".

Prochains concerts
Avec le Quatuor Les Dissonances (David Grimal, Hans Peter Hoffmann, David Gaillard, Xavier Phillips) :
16 janvier 2018 : Salle de concert, l'Arsenal, Metz.
19 janvier 2018 : Conservatoire, Genève, Suisse.

Quatuor Les Dissonances © Bernard Martinez.
Quatuor Les Dissonances © Bernard Martinez.
18 janvier 2018 : avec l'Orchestre de la Suisse Romande (dir. Jonathan Nott), Victoria Hall, Genève, Suisse.
4 février 2018 : avec l'Orchestre Lamoureux, Salle Gaveau, Paris.

En 2017 est sorti un remarquable CD du Quatuor Les Dissonances :
● Janàcek, Quatuor à cordes n°2 "Lettres intimes" - Schubert, Quatuor à cordes n°14 "La Jeune Fille et la Mort".
Label : Dissonances records.
Distribution : Harmonia mundi.
Durée : 66 minutes.

Christine Ducq
Lundi 8 Janvier 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024