La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Une satire magnifique, une tentative de dépassement de la tragédie

"Qui a peur de Virginia Woolf ?", Théâtre de l'Œuvre, Paris

Le retour de soirée de Martha et de George est bien imbibé d'alcool. Ils ont en tête, comme une scie, un refrain de Walt Disney. Légèrement transformé. Qui a peur de Virginia Woolf ? De quoi pouffer de rire. De manière bien énigmatique. Il y a comme de l'Entre soi (Private. Private Joke de l'Upper Middle Class…). De retour à la maison, ils reçoivent un autre couple (Young urban, Comme sur les photos des revues…), rencontrés le soir même.



© Dunnara Meas.
© Dunnara Meas.
Tous quatre se trouvent embarqués dans un éprouvant jeu de la vérité. Du début de la soirée, le spectateur ne sait pas grand-chose. En revanche, sidéré, il en suit, au présent de la représentation, les effets dévastateurs sur les convenances, les consciences et les personnes. Les façades de respectabilité se fissurent, craquent, se déchirent, les hypocrisies sociales remontent à la surface. Le spectateur apprend au fur et à mesure du temps qui passe. Les secrets remontent la surface comme autant de remugles.

La pièce Edward Albee est construite à l'antique. Elle entremêle comique et drame, avance sur le fil d'une crête tragique. En trois mouvements précis, le spectateur vit un concentré de psychodrame. De demi-révélations en demi-révélations, les mensonges construits sur des dénis de la réalité se déconstruisent, les sous-entendus se trouvent reliés. Ces deux couples se ressemblent. Miroirs de l'un et de l'autre à quelques années de distance et de mariage. La pièce est une conduite d'exorcisme de conjuration du destin, une tentative de dépassement de la tragédie.

© Dunnara Meas.
© Dunnara Meas.
Le rapprochement de la chansonnette et du nom de l'auteure névrosée des "vagues" Virginia Woolf permet à l'auteur, de connotations en dénotations, de donner corps à une critique virulente de l'American Way of Life. D'en faire constater la perversité par la dévastation de caractères, la dénonciation de l'alcoolisme et des conformismes tout en pariant sur l'efficacité d'une pratique d'exorcisme.

Le dispositif mis en place par Alain Françon est dépouillé. L'espace est vide, scandé par une rampe d'escalier, une porte d'entrée et un canapé. Il laisse entendre le texte et met en valeur le jeu.

Celui-ci est intense et léger tout à la fois. Il laisse se développer un sens de la caricature et du dérisoire. Modulé avec superbe, il se décline au rythme des scènes. Progressif du rire jusqu'au cri final. Son énergie, sans défaillance, illustre la violence des mots, met à nu les caractères et leur épuisement. Grâce au carré de Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff, Julia Faure et Pierre François Garel, les personnages fusionnent dans une folie commune et se dissocient dans leurs solitudes respectives et leur silence.

À la toute fin de cette nuit blanche des plus agitées, d'angoisse et de violence, de provocations naît un calme, un apaisement. Promesse d'une aube. Pourtant à la suite de cet after, de cet enfer partagé, persiste, au baisser de rideau, une ambigüité. Comme une dernière résistance du secret des personnes et de leur intimité.

Est-on vraiment sûr que plus personne n'a peur du loup et de son fantôme imaginé, la névrose de Virginia ? La pièce d'Albee joue avec les clins d'œil et les pieds de nez, décrit les moeurs pour mieux les conjurer.

"Who is afraid of Virginia Woolf?" est une satire magnifique.

"Qui a peur de Virginia Woolf ?"

© Dunnara Meas.
© Dunnara Meas.
Texte : Edward Albee.
Mise en scène Alain Françon.
Assistant à la mise en scène : Nicolas Doutey.
Avec : Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff, Julia Faure, Pierre-François Garel.
Décors : Jacques Gabel.
Lumières : Joël Hourbeigt.
Costumes : Patrice Cauchetier assisté de Anne Autran.
Musique originale : Marie-Jeanne Séréro.

Du 8 janvier au 3 avril 2016.
Du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 15 h.
Théâtre de l'Œuvre, Paris 01 44 53 88 88.
>> theatredeloeuvre.fr

Jean Grapin
Lundi 25 Janvier 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023