La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Toujours plus Folle Journée de Nantes !

La 24e édition de "La Folle Journée de Nantes" vient de s'achever après cinq jours de passion musicale contagieuse et de beaux résultats certifiés par des chiffres éloquents : 2 200 artistes invités, 14 orchestres, 26 ensembles de musique de chambre, 13 ensembles vocaux, 70 solistes pour 275 concerts à Nantes (plus treize en métropole). Le thème de l'exil ("Vers un monde nouveau") a plu au public et le taux de remplissage des concerts (95 %) bat encore un record cette année.



Chœur Philharmonique de l'Oural Ekaterinbourg © DR.
Chœur Philharmonique de l'Oural Ekaterinbourg © DR.
Depuis vingt-quatre ans, c'est le même rituel : les Nantais, les habitants de la région et même des mélomanes venus de loin se ruent sur les soixante-quinze concerts offerts chaque jour du mercredi au dimanche (sans compter la dizaine de concerts quotidiens (1) gratuits donnés dans la Grande Halle) dans sept salles (de l'Auditorium Stefan Zweig aux quasi 1 000 places à la Salle Paul Celan de quatre-vingts places) de la Cité des Congrès, ou au Lieu Unique, entre autres. Gare au manque d'organisation de festivaliers peu prévoyants !

D'aucuns arrivent une heure à l'avance pour entrer parmi les premiers et les files sont impressionnantes, quand d'autres, épuisés, s'endorment sur les fauteuils des lieux de repos. C'est que le festival ouvre tôt et les premiers concerts débutent à 9 h 30 pour se terminer vers 23 h. Ce public de connaisseurs (souvent) de La Folle Journée impressionne d'ailleurs par son expertise : il n'est qu'à entendre dans les travées les commentaires et analyses d'après concert. Par ailleurs, le festival a innové dans son accueil des publics à mobilité réduite ou malentendant.

Le format des concerts ne dépassant jamais une heure et tourne le plus souvent autour de quarante-cinq minutes, les plus enragés peuvent y passer journées et soirées. Si les trois premiers jours témoignent déjà d'un bel engouement, la fin de semaine entraîne une véritable marée humaine dans la Cité des Congrès et autour.

Gare aux agoraphobes, La Folle Journée n'est pas faite pour eux ! Inutile de paniquer pourtant, sécurité et contrôle règnent : une ambiance bon enfant domine malgré les flux et reflux de la foule, qui court impatiente d'une dédicace de Frédéric Lodéon à un concert offert par Sirba Octet - qui a mis le feu samedi à La Folle Journée en transportant le public avec son répertoire de musique klezmer ("A Yiddische Mama" et"Tantz !").

Aperto Ensemble de flûtes du CRR Nantes © DR.
Aperto Ensemble de flûtes du CRR Nantes © DR.
Les invités sont autant des jeunes, au talent déjà confirmé ou prometteur (tels la pianiste Marie-Ange Nguci, la soprano Marie Perbost de l'Académie de l'ONP, le baryton Stephan Genz par exemple). Mais aussi des artistes et des ensembles bien identifiés, souvent des fidèles du festival, venus parfois même en stars - telle Barbara Hendricks (et son blues band).

Pour faire honneur au thème choisi cette année par René Martin et son équipe (l'exil comme drame ou tremplin des compositeurs de l'âge baroque au XXIe siècle), des artistes venus des confins de l'Europe ont encore répondu présents en cette 24e édition. Tous trouvent leur public : l'Orchestre Philharmonique de l'Oural et le Chœur d'Ekaterinbourg comme le pianiste allemand Nils Frahm - dont l'univers ne craint pas de concilier le classique, la pop et l'électro.

Les œuvres jouées ont évidemment été choisies pour faire entendre des pages célèbres ou faire découvrir des pépites mal connues - toutes composées dans ces exils subis ou voulus, géographiques ou intérieurs de D. Scalatti, W.A. Mozart, L. van Beethoven, F. Schubert, F. Chopin, A. Schönberg, S. Prokofiev, I. Stravinski ou Arvo Pärt (entre nombreux autres) à Hans Kràsa (pour son "Brundibàr", l'opéra composé dans le camp de concentration de Terezin), Bohuslav Martinu, Hanns Eisler, ou encore Olga Viktorova (pour son oratorio, commandé par la Folle Journée, créé cette année in loco), Giya Kancheli (avec son impressionnant Psaume 23 "Exil") révélé par la Kremerata Baltica (l'ensemble fondé en 1997 par le violoniste Gidon Kremer, qui crée avec eux pour l'occasion à Nantes "V & V (voix & violon)" pour violon et orchestre de chambre) avec l'incroyable soprano Nino Machaidze.

Trio Wanderer © DR.
Trio Wanderer © DR.
Le fameux Trio Wanderer (2) (au nom comme choisi pour l'édition) a enthousiasmé le public avec le Trio pour piano et cordes n°4 de A. Dvorak avec ses thèmes folkloriques folâtres et les Trois Nocturnes aux inflexions poignantes d'Ernest Bloch composé en 1924 (l'année où ce dernier prend la nationalité américaine). La maîtrise est un mot qui paraît galvaudé pour ce superbe ensemble qui joue comme on respire, dans une symbiose où il devient inutile de se regarder.

Ces trois-là sont comme les organes d'un même corps, élaborant la plus belle sonorité qui soit. Les mélomanes ont également adoré retrouver le Quatuor Modigliani (un fidèle, lui aussi de la Folle Journée) dans un programme consacré au Quatuor n°12 (opus 96) du même A. Dvorak, quatuor dit "L'Américain" puis dans le sublime troisième quatuor de E. von Dohnanyi (opus 33).

Avec leur nouveau premier violon (Amaury Coeytaux) (3), ce superbe corps de quatre membres (une mini société) qu'est le quatuor (fondé en 2003) a évolué. Sans doute aussi avec la maturité et le succès international, leur jeu admirable de précision, de cohésion et d'engagement n'a toutefois plus cette petite folie de la jeunesse qu'on adorait chez eux, de même que cette sonorité diaphane du temps de sa première époque (celle de Philippe Bernhard).

Orchestre et Chœur Philharmonique de l'Oural © DR.
Orchestre et Chœur Philharmonique de l'Oural © DR.
Le quatuor de Dvorak, composé en 1893 dans l'Iowa, mêle bien ici souvenirs slaves et élans évoquant les grands espaces du Nouveau-Monde sous l'égide d'un premier violon qui prend souvent l'ascendant. Mais les trois autres membres font retour de flamme et se singularisent sans effort, conjuguant intelligence du discours et fantaisie dans les trois mouvements du quatuor de Dohnanyi, jusque dans un Finale vivace final endiablé et rageur. Voilà bien une nouvelle formation tournée "Vers un monde nouveau". Le prochain thème de La Folle Journée 2019 a été annoncé, ce sera "Carnets de voyage".

(1) Le nombre de concerts gratuits augmente du mercredi au week-end (de quatre à une douzaine au plus fort de la manifestation).
(2) Le Trio Wanderer est composé de Jean-Marc Phillips-Varjabédian (violon), Raphaël Pidoux (violoncelle) et Vincent Coq (piano).
(3) Le Quatuor Modigliani, ce sont les membres fondateurs Loïc Rio (violon), Laurent Marfaing (alto), François Kieffer (violoncelle). Et Philippe Bernhard parti en 2016.


La Folle Journée de Nantes a eu lieu du 31 janvier au 4 février 2018.
>> follejournee.fr

Christine Ducq
Mardi 6 Février 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023