La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Telemann, maître des "Goûts réunis", au Festival Terpsichore

L'édition 2017 du Festival Terpsichore s'est terminée brillamment par un concert dédié au compositeur Georg Philipp Telemann. Avec l'Ensemble Masques, le flûtiste Julien Martin et le contre-ténor Damien Guillon ont donné la pleine mesure de leur immense talent.



Julien Martin (flûte à bec), et l'Ensemble Masques dirigé par Olivier Fortin (au clavecin) © DR.
Julien Martin (flûte à bec), et l'Ensemble Masques dirigé par Olivier Fortin (au clavecin) © DR.
Telemann (1681-1767) fut un le compositeur allemand le plus célèbre de son temps, ce qu'on a du mal à se représenter à notre époque. Et pourtant, fêté à travers toute l'Europe, il s'illustra par une carrière variée et fut un champion du cumul des mandats principalement dans les villes hanséatiques allemandes et en Prusse au XVIIIe siècle.

Pratiquement autodidacte, il ajouta à son prestige de compositeur les postes de directeur d'opéras (premier poste à vingt-cinq ans), de chef d'orchestre, de fondateur d'ensembles, de cantor, et même de premier violon quelquefois. Il créa aussi la première société de concerts payants ouverts à un large public (dès 1704 avec le Collegium Musicum) à Leipzig.

Son œuvre démesurée (il compose son premier opéra à douze ans) comprend plus de six mille œuvres, dont la plupart sont perdues. Les spécialistes dénombrent tout de même quarante-neuf Passions, une quarantaine d'opéras et près de deux mille cantates. La réputation européenne de Telemann ne survécut cependant pas au-delà du XVIIIe siècle et c'est timidement qu'on se prend de ce côté-ci du Rhin à réévaluer son œuvre, toujours dans l'ombre du génie de Bach (du moins jusqu'ici).

Olivier Fortin, Damien Guillon et l'Ensemble Masques © DR.
Olivier Fortin, Damien Guillon et l'Ensemble Masques © DR.
Pour la quatrième édition du Festival Terpsichore, dont les concerts se donnent dans des lieux historiques et charmants de la capitale, son directeur artistique Skip Sempé a choisi de faire la part belle aux cordes et aux voix. Pour le dernier concert du festival, le 12 octobre, l'Ensemble Masques dirigé par Olivier Fortin accompagnait le flûtiste à bec Julien Martin et le contre-ténor Damien Guillon. Dans la belle Église Saint-Thomas d'Aquin, l'esprit du concert intime était préservé (au cœur de l'identité de Terpsichore) non sans rendre justice au grand théâtre musical de Telemann grâce au talent des deux solistes.

Alternant compositions instrumentales et vocales, la soirée permettait au profane de découvrir un échantillon de l'inventivité prolifique du compositeur. Débutant par le "Concerto Polonois" composé comme il se doit après un voyage en Pologne (en 1706), les musiciens de l'ensemble en livrent une version un peu sage, lissant quelque peu l'origine populaire de son inspiration.

Mais ils excellent bientôt, emportés par le flûtiste surdoué Julien Martin, qui conjugue virtuosité ébouriffante et jeu brillant dans la "Suite en La mineur" (TWV 55 :a2). Cette très belle pièce, vrai manifeste des "Goûts réunis", propre à l'écriture du compositeur qui n'aime rien tant que l'alliage - celui du style français et de la follia italienne (se concluant par une "Polonaise" ici) - offre un passionnant dialogue aux cordes et à la flûte.

L'Ensemble Masques © DR.
L'Ensemble Masques © DR.
Le "Divertimento en La", composé l'année de la mort de Telemann (1767), éclaire l'évolution du compositeur, à qui on reconnaîtra plus tard la faculté d'avoir jeté un pont entre esthétiques baroque et classique. Pour les arias et cantates sacrées choisies pour ce concert, dont certaines sont parfois défendues sur scène et au disque par nos contre-ténors, c'est au genre de l'opéra qu'ils font penser irrésistiblement.

Quand Damien Guillon, superbe timbre et chant habité, ornemente l'aria "Entzückende lust" (une cantate de communion), brillent alors les prestiges d'une mélodie d'inspiration italienne à l'orchestration raffinée. Lignes artistes et sonorité sensuelle envahissent l'espace pour ce "Plaisir adorable" (traduction du titre) jusqu'à la conclusion extatique ("dass sie recht ein Himmelsparadies") avec l'art habituel du contre-ténor.

Même merveille dans les passages de la cantate (tirée d'une Passion) "Der am Ölberg Zagende Jesus". Avec "Die stille Nacht umschloss den Kreis der Erden" (La nuit silencieuse encerclait la terre) et un sens dramatique admirable, Damien Guillon donne la hauteur voulue à ce drame suspendu (avec les traits rythmiques des cordes).

Damien Guillon (contre-ténor) et l'Ensemble Masques © DR.
Damien Guillon (contre-ténor) et l'Ensemble Masques © DR.
Entre exaltation ("Mein Vater ! Wenn dir's wohlgefällt") et récitatifs inspirés, ce théâtre spirituel toujours élégant et parfois grandiose donne le frisson. C'est tout le génie du chanteur, en osmose avec les musiciens de Masques, de le ressusciter, à la fois si terrestre et pourtant céleste.

Festival Terpsichore.
>> terpsichoreparis.com

Georg Philipp Telemann "Cantates & Concerti".
.Julien Martin, flûte à bec.
Damien Guillon, contre-ténor.
Ensemble Masques :
Cecilia Bernardini, Tuomi Suni, violons.
Kathleen Kajioka, alto.
Mélisande Corriveau, violoncelle, basse de viole.
Benoît Vanden Bemden, contrebasse.
Olivier Fortin, clavecin.

Concert retransmis ultérieurement sur France Musique.

Christine Ducq
Mercredi 25 Octobre 2017

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024