La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Sous les masques de la dureté battent encore les mouvements du cœur

"Maître Puntila et son valet Matti", Théâtre des Quartiers d'Ivry, Ivry-sur-Seine

Maitre Puntila ? Quand il est ivre, il est bon, quand il est à jeun, il est ignoble. Quand il est ivre, il veut marier sa fille à Matti son chauffeur, son intendant, son homme à tout faire, son ami. Quand il est à jeun ? Il crie, menace et congédie son valet.



© Agathe Poupeney/PhotoScène.
© Agathe Poupeney/PhotoScène.
La pièce de Bertolt Brecht s’appuie sur les alternances d’humeur de Puntila et les évitements de Matti. Ce qui fait rire. Le schéma renvoie à toute une tradition du théâtre de la farce dramatique et du couple indissoluble du maître et du valet. En image inversée de celle du Dom Juan de Molière, c’est le valet et non plus le maître qui est dépositaire du savoir.

Inspirée dans la fuite du nazisme en 1940 par une histoire finlandaise, la pièce de Bertolt Brecht est créée en 1948 au Schauspielhaus de Zurich épargné par la guerre. Elle est nourrie de l’exil, de l’épreuve et de la résistance face à des pouvoirs totalitaires. Le propos se veut démonstration de la liberté et des méfaits de l’arbitraire.

Sous couvert de farce, l’auteur décrit avec minutie les préoccupations de survie économiques des uns et des autres, et les rapports en miroir si compliqués que suscitent chez les hommes les relations d’autorité.

Au fil de la pièce, le spectateur perçoit la complexité en œuvre au cœur des hommes. Ce besoin d’émotion qui les relie tous et les aide à survivre dans un système hiérarchique bien trop pesant pour chacun… Une forme de liberté et de gaité traverse même les échanges de Puntila et Matti. Elle est celle inspirée de ce dialogue si habile, si sensible de Denis Diderot qui relie dans une forme d’utopie merveilleuse "Jacques et son maitre".

Avec Brecht, l’histoire grince et glisse dans l’amertume.

© Agathe Poupeney/PhotoScène.
© Agathe Poupeney/PhotoScène.
La proposition scénique de Guy Pierre Couleau renvoie dans son esthétique à la tradition du Berliner Ensemble avec ses plans translucides, ses maquillages marqués, ses silhouettes noir de cirque stylisé.

Peut-être agaçante en premier regard, cette approche stylistique renvoie, dans une subtile évolution par le plaisir du jeu et l’aisance prise avec l’espace, à l’expressivité d’un long métrage de Charlot (Charlie Chaplin est contemporain de Brecht et admiré par lui). Il y a dans le Puntila mis en scène par Guy Pierre Couleau comme un hommage aux "Lumières de la ville".

Tout se passe comme si Matti avait émigré aux États-Unis et, étant devenu acteur, sous les masques de la dureté de son personnage, ressentirait encore les mouvements du cœur. Le vouloir croire désenchanté d’un prolétaire jeté dans le monde moderne, trop sensible pour n’être pas ému, lancé dans la bataille de la faim et de la survie et de la liberté… présentation distanciée.

"Maitre Puntila et son valet Matti"

Pièce populaire.
Texte : Bertolt Brecht.
Mise en scène : Guy Pierre Couleau.
Texte français : Michel Cadot.
Assistanat à la mise en scène : Carolina Pecheny.
Scénographie : Raymond Sarti.
Avec : Pierre Alain Chapuis, Luc Antoine Diquero, Sébastien Desjours, François Kergourlay, Nolwenn Korbell, Pauline Ribat, Rainer Sievert, Fanny Sintès, Serge Tranvouez, Jessica Vedel, Clémentine Verdier.
Lumières : Laurent Schneegans.
Musique : Paul Dessau, Philippe Miller.
Durée : 3 h (sans entracte).

Du 7 janvier au 3 février 2013.
Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20 h, jeudi à 19 h, dimanche à 16 h.
TQI - Théâtre d'Ivry Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine (94), 01 43 90 11 11.
>> theatre-quartiers-ivry.com

Jean Grapin
Mercredi 9 Janvier 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024