La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Sin permiso… Relation duale

Retour à Chaillot où se déroule actuellement la quatrième biennale d'art flamenco jusqu'au 13 février. Avec la création d'Ana Morales et de José Manuel Álvarez, les sentiments d'une fille à son père sont incarnés dans un rapport à deux où les dits et non-dits d'une relation filiale sont nourris d'amour et d'incompréhension.



© Agustin Rodriguez.
© Agustin Rodriguez.
Le flamenco est un art qui, suivant la qualité de ses interprètes et de son créateur, peut sortir de son arène pour aller puiser dans une trame musicale dans laquelle toute émotion, amour, défi, passion et tragédie peuvent se donner la repartie. Le corps est roi et les différentes gestuelles flamenquistes sont comme une caisse de résonance dans laquelle la théâtralité est de mise.

L'originalité et la pertinence musicale sont au rendez-vous avec la mise en exergue de la batterie en lieu et place du cajon. La guitare vient aussi jouer sa partie mais les percussions restent l'ossature principale du compas. Elles leur donnent une consistance très terre à terre à la gestuelle, toujours en mouvement, soit rapide soit lente, avec quelques arrêts. Ses ruptures de jeu sont en écho avec un jeu physique, à la fois très intime, comme l'expression du reflet intérieur d'une âme, et extime, avec un rapport à l'autre, viril ou affectueux. Il y a dans celui-ci un mélange sourd et distinct d'une relation qui oscille entre différents pôles de sentiments, celle d'une fille à son père.

Ici, point de robe flamenca mais une longue cape en dentelle est parfois portée. Ana Morales est vêtue d'un académique intégral. En solo, elle offre une gestique des plus caractéristiques, faisant tourner autant son buste, telle une virgule, que ses membres supérieurs comme des points d'exclamation, laissant parfois plonger ses poings vers le bas. Ce sont sur ces deux mouvements antinomiques, l'un rêche et droit, l'autre, rapide et courbe, que la danseuse explore les différents contours de son art en le faisant cohabiter avec l'ailleurs d'une autre danse.

© Benjamin Mengelle.
© Benjamin Mengelle.
Sur scène, elle compose, en compagnie de José Manuel Álvarez, telle une artiste peintre, le spectacle avec différentes couleurs, sombres dans son expression corporelle, à dessein ardente, claires dans sa relation à l'autre. Celles-ci sont dans les attitudes, parfois rugueuses et tranchées, d'autres fois plus en courbes et arrondies.

Les chorégraphies sont de celles de couple où, avec maestria et élégance, l'agressivité se dispute à l'affect. Les échanges, autour, entre autres, de taconéos, sont, à tour de rôle, l'écho d'une dispute ou d'une discussion où le dit et le non-dit sont enlacés l'un à l'autre. Le physique supplée à ces difficultés de communication en plongeant le corps dans une mise en tension très vive et martelée à la scène.

Derrière, la batterie lance le compas avec deux guitares, l'une à la suite de l'autre. Avec la deuxième, cachée derrière un mur de lattes de bois, se découvre un chanteur derrière son instrument. On se donne la réplique flamenca avec des talons qui glissent sur le sol pour le taper ensuite. On joue aussi au ballon avec un long morceau de chiffon en couleur. Il y a du recueillement, des silences avec ces moments de pause qui donnent du relief aux chorégraphies. Álvarez et Morales sont dans un face à face tant affectueux que de défi.

La danseuse, à la démarche altière, traîne derrière elle une cape beige dentelée. Guitare et batterie forment un couple musical l'accompagnant dans ses déplacements. Elle s'arrête, repart, de façon vive, souvent tranchante pour aller également puiser dans quelques figures de danse contemporaine. C'est un spectacle qui va au-delà des braceos, des taconéos ou des palmas. Ici, la robe devient un compagnon de jeu. Elle est trainée, portée, jetée, lancée. Elle est une sorte d'identité dans laquelle les mouvements racontent plus qu'une histoire car ils incarnent un personnage.

Morales, quant à lui, se tourne, se retourne, fait plusieurs tours autour d'elle, s'arrête, repart puis en enchaîne une autre série. Le braceo a perdu de ses courbes pour prendre une attitude plus rectiligne, plus rêche, voire virile sans que ce terme ne doit être pris dans un parti pris masculin. La main droite est tendue en prolongement de son tronc, poing ouvert vers un ailleurs, ne jetant son regard que vers la scène ou tout droit, marquant ainsi une dichotomie entre un état présent et une projection vers un passé ou une réminiscence.

L'art devient mnésique, sensoriel, où le corps exprime les relations non dicibles d'une fille à son père en se faisant le porte-voix d'émotions. Il y a du mordant. C'est envolé, presque tragique et poétiquement agressif.

"Sin permiso - Canciones para el silencio"

© Agustin Rodriguez.
© Agustin Rodriguez.
Direction artistique et mise en scène : Ana Morales, Guilermo Weicker.
Chorégraphie : Ana Morales, José Manuel Álvarez.
Collaboration chorégraphique : David Coria.
Avec : Ana Morales, José Manuel Álvarez (danse), Juan José Amador (chant), Juan Antonio Suarez "Canito" (guitare), Daniel Suarez (batterie, musique électronique).
Son : Kike Seco.
Lumières : Olga García (A.A.I.).
Décors : Francisco Munzón.
Costumes : Pilar Cordero, Lopez de Santos, Belén de la Quintana, Marcela, Cotelac.
Collaborateurs : Michio Woirgart, Sabio musique électronique off en création musicale, Ivan Bavcevic.
Durée : 1 h 15.

A été représenté les 29 et 30 janvier dans la salle Firmin Gémier du Théâtre national de Chaillot (Paris) dans le cadre de la Quatrième Biennale d'Art Flamenco.

Quatrième Biennale d'Art Flamenco
Du 26 janvier au 13 février 2020.
Du mardi au vendredi à 19 h 45.
Jeudi à 19 h 45 et 20 h 30.
Samedi à 20 h 30.
Dimanche à 15 h 30.
Chaillot - Théâtre national de la Danse, Paris 16e, 01 53 65 31 00.
>> theatre-chaillot.fr

Programme
Du 29 au 30 janvier 2020 : "Sin permiso - canciones para el silencio", Ana Morales.
Du 30 au 31 janvier 2020 : "La espina que quiso ser flor o la flor que soñó con ser bailaora", Olga Pericet.
1er février 2020 : "Impulso" Rocío Molina.
Du 4 au 6 février 2020 : "Cuentos de Azúcar" Eva Yerbabuena.
8 février 2020 : "Tomatito", Tomatito sextet.
Du 6 au 13 février 2020 : "Magma", Marie-Agnès Gillot, Andrés Marín, Christian Rizzo.

Safidin Alouache
Lundi 10 Février 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024