La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Rythmes sorciers au Festival Radio France

Soirée magique au Festival de Radio France-Occitanie-Montpellier avec un programme d'une belle cohérence et aux invités exceptionnels. L'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par le jeune prodige finlandais Santtu-Matias Rouvali a offert un superbe concert, dont le Concerto pour la main gauche (de Ravel) admirable du pianiste Bertrand Chamayou.



Le festival nous a offert le genre de soirée parfaite, un de ces concerts inoubliables dont nous ressortons enthousiastes et heureux. Car la réussite (toujours inattendue, toujours espérée) tenait à trois paramètres. D'abord a été médité un programme magnifique, pas si classique et roboratif, avec en forme d'ouverture "The Chairman dances" de John Adams, le concerto pour pianiste unibrassiste de Ravel et - en guise de symphonie - le mythique "Sacre du Printemps" de Stravinski. Pour le défendre ensuite ont été associés une phalange d'exception, un chef impressionnant de maîtrise et un soliste idéal. Enfin l'alchimie indispensable, qui transcende les rencontres artistiques, était nettement sensible dans la salle du Corum de Montpellier.

Belle idée que de donner à entendre le foxtrot pour orchestre du compositeur américain John Adams "The Chairman dances" (Le Président danse). Ce compositeur né en 1947, dont on adorerait entendre plus souvent les opéras dans les grandes maisons françaises, destine cette fascinante pièce symphonique (avec ses rythmes hypnotiques de la musique répétitive avec variations expertes, son riche instrumentarium, une vraie fabrique de sons inouïs) au Milwaukee Symphony Orchestra en 1985.

© DR.
© DR.
Ce foxtrot d'une dizaine de minutes sera la matrice deux ans plus tard de son opéra "Nixon in China" conçu avec Peter Sellars et Alice Goodman. Le Philharmonique se montre brillant tant dans les boucles ondulatoires thématiques du tissu sonore que dans la peinture de climats tantôt oniriques ou ironiques. Il est bien aidé par un chef dansant, sautillant et d'une précision absolue - un vrai farfadet venu du Nord me glisse ma voisine.

Bertrand Chamayou livre ensuite un fiévreux "Concerto pour la main gauche" qui aurait ravi Ravel puisqu'il parvient à faire oublier qu'il ne se sert que d'une main. On se souvient que le pianiste toulousain a souffert il y a une dizaine d'années d'une dystopie de fonction de la main droite pendant quelques mois - rendant incertaine (un temps) la poursuite de sa carrière de soliste. On imagine facilement qu'il puisse rejoindre en pleine conscience l'état d'esprit du commanditaire de l'œuvre, Paul Wittgenstein. Le frère du philosophe allemand avait en effet perdu son bras droit dans les combats de la première guerre mondiale.

© DR.
© DR.
Bertrand Chamayou engage avec une virtuosité unique son duel avec l'orchestre. Tour à tour effrayant, désespéré, héroïque, le soliste parvient par des effets époustouflants dans les tréfonds des registres grave et aigu à monter au combat et à vaincre face à une phalange qui ne lui cède rien en âpreté et en élans magnifiques. Les incursions jazz et les moments de tendresse n'effaceront pas les stigmates sauvages de cette danse endiablée - que nous ont offerts avec force et conviction soliste et musiciens. Le bis "Pavane pour une infante défunte" (composée en 1899 par Ravel) rappelle avec un sens du jeu superlatif que le pianiste sait aussi se servir de ses deux mains.

Après l'entracte, place aux rites sauvages du "Sacre du Printemps" dont il est inutile de rappeler les circonstances agitées de la création au Théâtre des Champs-Élysées en 1913. On attend toujours un peu au tournant un chef dans cette œuvre d'une difficulté certaine à mettre en place. C'est l'épreuve reine et elle est gagnée ici de haute lutte par le jeune chef finlandais. En parfaite osmose avec le Philharmonique, qu'il connaît bien pour l'avoir déjà dirigé, il montre à seulement trente-deux ans une maturité et une maîtrise époustouflantes.

© DR.
© DR.
Santtu-Matias Rouvali exalte ce grand rite sacral avec ses sonorités expressionnistes, sa polyrythmie sorcière, ses ostinatos hypnotiques et ses explosions jubilatoires convoquant tous les pupitres - tous éminemment brillants. Force primitive, luxuriances tonales, subtilité des dynamiques et sens des transitions (particulièrement éprouvantes ici) envoûtent comme jamais dans cette transe dionysiaque sous la baguette de ce lutin génial venu des terres du nord.

Concert donné le 22 juillet 2018.
Disponible à l'écoute pendant plusieurs mois sur le site de France Musique.

Bertrand Chamayou, piano.
Orchestre Philharmonique de Radio France.
Santtu-Matias Rouvali, direction.

Du 9 au 27 juillet 2018.
Festival de Radio France - Occitanie - Montpellier "Douce France".
Tél. : 04 67 02 02 01.
Programme complet >> lefestival.eu

Christine Ducq
Lundi 30 Juillet 2018

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024