La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Reconstitution"… L'amour comme un besoin, une éthique, dans un spectacle capable de toucher au cœur

"Reconstitution", Théâtre de l'Aquarium, Paris

Après "Clôture de l'amour", Pascal Rambert revient fouiller les entrailles des sentiments amoureux pour en extraire cette fois le sublime, le sacré, l'intouchable beauté. Une femme, un homme, face à face dans un cérémonial païen vont tenter de revivre l'instant toujours trop fugace de leur amour. Ils vont s'étreindre par les mots, longtemps, bien longtemps après la rupture, au moment où l'éphémère de nos vies sonne à la porte. Un faux ludique pour un duo d'interprètes d'une rare sincérité.



© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Il faut dire que c'est à leur demande, leur souhait (Véro Dahuron et Guy Delamotte, également codirecteurs du Panta Théâtre de Caen) que l'auteur a produit ce texte suite à une rencontre où liens artistiques et humains se sont tissés d'un même élan. C'est sûrement grâce à ce respect réciproque que ce spectacle a pu voir le jour dans la sobriété, la retenue et la puissance par lesquelles il est parcouru. Un spectacle que l'auteur a décidé de mettre en scène.

Un espace nu, clinique, sol clair, lumière blanche et quatre grandes tables en inox au fond, chacune surchargée d'effets hétéroclites : piles de boîtes en carton, attirail de cuisine, outils et bric-à-brac. Tables à roulettes, chaises en fer, machine à fumée, tuyau d'arrosage, fils électrique, tout un attirail pour cette expérience, on dirait, voulue, décidée, organisée par les deux protagonistes : l'homme, la femme.

Cela commence en fermant la porte sur l'extérieur : ils sont seuls dans cet espace sans confort, sans âme, clos. Et l'on sait que tout a été fait pour qu'ils ne soient pas dérangés, ni distraits de ce qu'ils ont à faire. Une reconstitution. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cette (procédure) chose que la justice pratique pour découvrir in situ, in visu, ce qui s'est passé réellement lors du drame, du crime ou de l'accident.

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Tout est dit dès le début : le lieu où nous sommes - une salle louée par les protagonistes -, les éléments du décor - des objets apportés par chacun d'eux, qui vont servir à ce qui va se passer - et qui ils sont - une femme et un homme qui se sont aimés. Un balisage qui pourrait paraître castrateur de l'imaginaire et qui, bizarrement, va nous faire rentrer dans l'histoire en empathie totale avec les deux interprètes/personnages. Le spectacle frôle la confusion, volontairement.

C'est de ce réel volontairement affiché et de la fiction racontée ici, de ce frottement entre ces deux univers que naît le sens, la beauté, la grâce. Rarement la thématique de l'amour, telle une constatation mythologique, trouve son verbe comme ici. Dans ce cérémonial que les deux acteurs vont réaliser se joue non pas seulement l'appel au souvenir de cet amour passé, avec son petit lot de reproche, mais surtout un hymne à ce qui est mis ici en exergue : la fatalité qu'est l'amour pour les humains.

C'est pourquoi cette pièce est susceptible de toucher quiconque, car elle traite de cela : ce manque viscéral que ressent l'être humain dans sa solitude, cette amputation émotionnelle qui ne peut être comblée que par l'autre, celui pour qui le cœur et le corps vibrent soudain, et qui est comme la définition même de l'être humain. Une créature en manque. Manque de l'amour que l'on n'a pas encore, manque de celui que l'on a et manque de celui que l'on a perdu.

Avec une simplicité de mots toute belle mais une poétique qui parvient à s'attacher à l'essentiel, la flamme, la braise et la cendre, Pascal Rambert écrit et met en scène un moment fort qui touche à la tragédie humaine. Celle qui est inscrite dans nos quêtes de civilisation. Celle qui dit qu'il y a dans l'humain une fatalité d'aimer et que cette fatalité peut être comme une définition de l'humain.

Avec leur passé, leurs armes propres à chacun, leurs métiers, leurs adresses et leurs maladresses, et sans doute une émotion souterraine due à leurs passés communs, Véro Dahuron et Guy Delamotte sont les créateurs sensibles et vrais de ces personnages, et les porteurs d'un drame beau comme rêve car il est comme la raison d'une vie.

"Reconstitution"

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Texte : Pascal Rambert.
Mise en scène : Pascal Rambert.
Scénographie et lumières : Pascal Rambert.
Avec : Véro Dahuron et Guy Delamotte.
Régie lumière : Fabrice Fontal.
Régie : Valentin Pasquet.
Durée : 1 h 30.
Production Panta Théâtre.

Du 9 au 23 mai 2018.
Mardi au samedi à 20 h, jeudi 10 mai et dimanche à 16 h.
Théâtre de l'Aquarium, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e, 01 43 74 99 61.
>> theatredelaquarium.net

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.

Bruno Fougniès
Vendredi 27 Avril 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024