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Pleurer comme une gamine de 13 ans…

La chronique d'Isa-belle L

À 13 ans, j’aurais pris mon stylo-plume - Waterman - avec mon cahier à spirales. La couverture aurait été colorée et les pages blanches se seraient noircies à mesure de mes idées, de mes pensées, plus ou moins désordonnées.



À 13 ans, on écrit déjà pour se soulager.
J’écrivais.
Bien m’en a fait.

À 13 ans, si j’avais appris qu’un attentat avait sévi à Paris, ville que je ne connaissais qu’à travers des voyages scolaires et des repas entre familles, de ma province, j’aurais écrit.

À 13 ans, si j’avais appris par mon père, militant, humaniste et instit passionné, les yeux embués de larmes ne pouvant croire à un tel drame d’inhumanité, que des personnalités aussi engagées, préférant le rire à la psychologie, les apéritifs entre copains aux dîners mondains, avaient été massacrées par des assassins fanatiques, j’aurais écrit.

À 13 ans, j’étais pré-ado élevée, entre autres, au club des grands enfants déjantés que composait l’inoubliable Club Dorothée.

© Cabu/Le Cherche Midi.
© Cabu/Le Cherche Midi.
À 13 ans, si mon père m’avait annoncé avec ses mots que Cabu, le Maestro du coup de crayon, avait "disparu"… Puis, revenant sur ce mot, lui préférant plutôt la vérité - tel que j’ai été éduquée - m’avait dit "Cabu est mort, il a été assassiné", j’aurais pleuré. Puis écrit. Sur lui. Sans hésiter. Sa coupe, ses lunettes, ses chemises toujours hyperflashy, colorées, cette allure un peu débraillée, sa timidité assumée…

À 13 ans, je m’intéressais au monde à travers celui que je côtoyais. Celui des adultes qui régulièrement passaient à la maison. Refaisaient la ronde. Trinquaient au Ricard avec ou sans glaçon. Se battaient pour des causes. Ces adultes avec qui j’ai grandi qui n’espéraient qu’une chose, que jamais la Société ne déraille, ne vole en éclats. Pour ne pas revoir, revivre. Espérant. Tout le temps. Que chaque être humain vive décemment, sans richesse absolue si ce n’est celle du partage, de la solidarité, de l’écoute et de la communication.

Tous ces adultes, les copains de papa, qui parlaient foot, politique, enseignement, vacances et buffets campagnards. Ces adultes qui se marraient, qui éclataient de rire. Qui détestaient les restaurants chics et maniérés, les délaissant pour les repas enflammés en bord de nationale avec les routiers. Tous ces grands qui assuraient les matchs de Volley le week-end, qui accompagnaient bénévolement, tout le temps, les élèves des écoles pour des sorties "nature" ou "culturelles".

Ces grands enfants qu’étaient nos parents qui nous élevaient dans le respect, le manque de rien et la curiosité. Qui se moquaient et crachaient sur l’autorité. Qui avaient connu l’Algérie et qui s’étaient forgé une conscience, des opinions, des idées. Tous ces gamins de 45 ans qui lisaient le Canard, adoraient Desproges et Cavana. Citaient Choron. Riaient à gorge déployée sur les dessins de Wolinski. Évoquaient Hara Kiri… Et se tapaient des grandes tablées en été. À la Sautet…

Tous ces parents qui, assurant notre éducation, en racontaient des conneries… Tous ces adultes dont je me souviens et que j’ai adoré écouter.

© Cabu/Le Cherche Midi.
© Cabu/Le Cherche Midi.
À 13 ans, quand on me punissait pour avoir découpé une tache sur le pull que m’avait tricoté ma grand-mère… Que je détestais - le pull, pas ma grand-mère -, les adultes autour de la table, riaient. Un pull… Qu’est-ce que c’est ?

À 13 ans, si j’avais appris par mon père qu’on avait tiré une balle dans la tête de Cabu, putain ! Ce que j’aurais chialé.

J’ai pris 25 ans. Et c’est arrivé. Pire. Tous ces gamins sont définitivement partis. Envolés. Cavana les a devancés.

Ces grands enfants nous ont quittés un jour de Janvier. Un début d’année. Massacrés.
À 38 ans, je pleure comme une gamine. Ils ont tiré sur mes souvenirs et sur toute une époque que j’ai adorée. Aimée. Chérie.

À Paris, le temps était tellement pourri ce mercredi.

Ah ! Charlie. Putain ! Ce que tu vas manquer à ma vie.

Voilà ! C’est dit. Écrit. Que mon cœur et tous les cœurs continuent… À vibrer.

Le billet d’humeur, triste, d’Isa Belle L

Isabelle Lauriou
Dimanche 11 Janvier 2015

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023