La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Philippe Jordan à la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Paris, une histoire d'alchimie

Dans un concert dédié à Debussy et Prokofiev donné à la Philharmonie la semaine dernière (et ce soir au Musée d'Orsay), l'Orchestre de l'Opéra national de Paris a affiché une impressionnante alchimie avec son directeur musical, Philippe Jordan.



Philippe Jordan © Jean-François Leclerc/OnP.
Philippe Jordan © Jean-François Leclerc/OnP.
Après dix années de travail à la tête de l'orchestre de l'Opéra de Paris (avec un contrat courant jusqu'à la fin de la saison prochaine), le suisse Philippe Jordan peut être à quarante-cinq ans très satisfait. Fils du chef Armin Jordan mais redevable à lui seul de son irrésistible carrière, le directeur musical de l'Opéra de Paris a plus que démontré, toutes ces années, son énorme talent, son intelligence aiguë des œuvres (il suffit de l'écouter en master-classe), son humanisme serein et sa rare capacité de travail avec les meilleures phalanges du monde.

Également directeur musical des Wiener Symphoniker depuis 2014, il a légitimement gagné le Prix du Meilleur Chef d'Orchestre aux International Opera Awards 2017. Avant son départ à l'Opéra de Vienne comme successeur de Gustav Mahler, Richard Strauss et Herbert von Karajan, il aura construit un beau parcours dans les meilleures maisons d'opéra du monde. Mais c'est à Paris qu'il aura consacré son don exceptionnel.

Orchestre 2016-2017 © E. Bauer/OnP.
Orchestre 2016-2017 © E. Bauer/OnP.
Il aura, en dix ans, abordé tous les répertoires, obtenu la faveur critique et publique tant dans la fosse qu'avec des enregistrements réalisés avec son orchestre parisien ; il aura fait évoluer ce dernier pour le meilleur en termes de discipline, d'homogénéité et de luxuriance des couleurs. On pouvait d'ailleurs encore le vérifier à la Philharmonie cette semaine dans un concert dédié à Debussy et Prokofiev, compositeurs dont il aura gravé respectivement le "Pelléas" et la Symphonie n°1 avec ladite phalange parisienne - qu'il n'aura eu de cesse de hisser au tout premier rang. Sa recette ? Créer selon ses propres mots "une osmose de travail" sur la durée.

En première partie, le chef suisse a choisi les "Images pour orchestre" de Claude Debussy composées entre 1903 et 1907, faisant preuve de son habituel sens de la précision et de la clarté. L'orchestre montre son sens de la discipline, mais aussi une grande fluidité tant dans les scansions dansantes des "Gigues" que dans la couleur locale évocatrice de "Iberia" - avec ses rythmes à 8/3 typiques de Sévillanne ou encore ceux à 2/4 d'Habanera.

Triptyque remarquable, cette "Iberia" impose sa structure dynamique et rythmique complexe et ses climats variés, permettant de mettre en avant tous les pupitres ainsi que des solos caractéristiques (dont le hautbois d'amour et le violon). Avec les "Rondes de printemps" l'orchestre montre toujours une plaisante alacrité, rendant encore justice à la liberté de la phrase mélodique debussyste. Tout juste regrette-t-on une petite absence d'ivresse, celle d'un matin de printemps renaissant après l'hiver.

Philippe Jordan © Philippe Gontier/OnP.
Philippe Jordan © Philippe Gontier/OnP.
Avec la musique du ballet "Roméo et Juliette", composée en 1935 par Sergueï Prokofiev, l'orchestre nous offre après l'entracte un théâtre sans pareil. Choisissant un parcours très cohérent parmi les numéros des Suites n°1 et 2 mélangées - et même un extrait de la Suite numéro 3, réécriture et invention plus tardives de 1944 - avec ces scènes formant une grande partition due à la troisième période (soviétique) du compositeur, le chef offre un véritable festin opératique. Les quatorze extraits de cette œuvre, conjuguant retour à la tonalité classique et recours à l'originalité harmonique des partitions antérieures expressionnistes, ravissent en un somptueux voyage.

En effet, dès la célèbre introduction de la 2e Suite "Montaigus et Capulets" choisie pour ouvrir cette deuxième partie de soirée, l'impérieuse et riche vision de Philippe Jordan captive, empoignant le spectateur pour ne plus le lâcher. Dans les treize numéros qui suivront, le raffinement ("Madrigal") le disputera à la noblesse ("Menuet"), l'hédonisme puis l'envolée extatique ("Roméo et Juliette, Scène du balcon") à la fraîcheur ("Juliette, jeune fille"), l'ardente passion à la grâce ("Danse des jeunes filles des Antilles") avec un sens du crescendo dramatique, de la couleur, de l'agogique du récit et de la vitalité mélodique extraordinaires. Une belle soirée donc démontrant une fois de plus l'excellence de cette collaboration, cette alchimie unique entre un orchestre transcendant et un chef aussi élégant que passionné.

9 décembre à 20 h.
Dans la Grande Nef du Musée d'Orsay (même programme).
>> Musée d'Orsay Concerts du soir.

Jusqu'au 26 décembre 2019.
"Le Prince Igor" d'A. Borodine.
À l'Opéra national de Paris (Bastille).
>> operadeparis.fr

>> philippe-jordan.com

Christine Ducq
Lundi 9 Décembre 2019

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024