La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Outsider" Sportif, léger et aérien… Comme un subtil mélange de tension et de grâce

Autour des vingt-et-un danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève et de quatre sportifs de l'extrême, Rachid Ouramdane, accompagné de la musique du compositeur et pianiste américain Julius Eastman, propose une création avec des déplacements autant au sol que dans les airs et où le cirque se marie à la fois à la danse contemporaine qu'au sport extrême.



© Gregory Batardon.
© Gregory Batardon.
Lumières blanches sur fond noir éclairent les entrées et sorties de danseurs qui viennent investir la scène, soit en groupe, soit de façon éparpillée. Dans ces va-et-vient multiples et variés, c'est un rapport à l'espace et à l'autre qui est posé. Les artistes sont, durant toute la représentation, à la fois seuls et accompagnés. À cette oscillation entre être-ensemble et être-seul, les planches en font écho dans des chorégraphies où chaque protagoniste se trouve être dans des configurations artistiques de solitude, de couple et de groupe.

De petits groupes se créent comme si la scène représentait la mer et ceux-là une incarnation de petites houles. Ils se forment en se détachant de-ci de-là du plateau. Les mouvements et trajets sont très variés. Sur quatre cinq rangées, les interprètes se déplacent de manière décalée et quasi en quinconce sur toute la longueur des planches. Ailleurs, ils rentrent de façon éparpillée quand ils ne glissent pas silencieusement dans les airs.

© Gregory Batardon.
© Gregory Batardon.
Il n'y a pas de synchronisation recherchée. Pourtant, la cohérence est très présente avec ce parti pris de détachements scéniques, comme si les groupes formés étaient des îles vaquant vers un horizon porté par la musique cyclique et répétitive de Julius Eastman (1940-1990). En écho de celle-ci, les chorégraphies de Rachid Ouramdane alternent gestiques contemporaines et circassiennes. Il y a un entre-deux artistique, comme si le spectacle naviguait entre deux eaux, symbolisé par une configuration scénique où les interprètes peuvent être simultanément en altitude et au sol. Le regard du public se retrouve déporté sur deux focales différentes dont chacune a sa gestuelle.

Il y a un mélange de tension et de grâce avec de grandes enjambées et des gestiques très souples et étendues. Des couples d'artistes se prennent par leur main droite respective, effectuant ainsi une légère rotation dans leur trajet. Dans les numéros circassiens, les corps se courbent comme des virgules, le tronc de quelques danseurs se pliant gracieusement, et respectivement pour chacun, au milieu d'un trio ou d'un quartet. Grâce aux jeux des lumières, de très jolis tableaux se dessinent sur des fonds noirs dans une lumière crue et plongeante. L'approche en devient presque photographique avec une gestuelle lente, donnant une impression d'un lent écoulement temporel.

© Gregory Batardon.
© Gregory Batardon.
Nous sommes dans une sorte de danse méditative avec son tempo fluide et aérien, comme si chaque artiste était aussi léger qu'une plume. Les mouvements restent dans une dynamique tout en hauteur alors que les déplacements sont situés soit au sol, soit en altitude avec quatre highliners suspendus à plusieurs mètres au-dessus de la scène et attachés respectivement par un baudrier à une corde de sécurité suspendue côtés cour à jardin. Ils glissent sur celles-ci en allongeant leurs corps et leurs avant-bras. Ils marchent aussi dessus, donnant un aspect gymnique à leur trajet. Là, le propos artistique devient celui de l'équilibre quand auparavant la chute, avec les numéros circassiens, guidait le spectacle.

Les gestuelles sont portées musicalement par les compositions "Evil nigger" (1979) et "Gay guerilla" (1980) de Julius Eastman. L'avalanche de notes au piano des compositions du musicien américain, de façon cyclique et répétitive, s'écoule comme des cascades d'eau. Les banquines sont toutes proches avec des danseurs portés à même les épaules qui chutent gracieusement ensuite. Tout semble léger, la fluidité laissant sa place par intermittence à une tension comme un va-et-vient entre deux pôles aussi opposés que complémentaires.

"Outsider"

© Gregory Batardon.
© Gregory Batardon.
Chorégraphie : Rachid Ouramdane.
Assistante chorégraphique : Mayalen Otondo.
Highliners : Nathan Paulin, Tania Monier, Louise Lenoble, Daniel Laruelle.
Intervenants : Hamza Benlabied, Airelle Caen, Clotaire Fouchereau.
Scénographie : Sylvain Giraudeau.
Costumes : Gwladys Duthil.
Lumières : Stéphane Graillot.
Musique : Julius Eastman.
Danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève : Yumi Aizawa, Céline Allain, Jared Brown, Adelson Carlos, Anna Cenzuales, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Diana Dias Duarte, Armando Gonzalez Besa, Zoe Hollinshead, Julio León Torres, Mason Kelly, Ricardo Macedo, Emilie Meeus, Léo Merrien, Stefanie Noll, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Sara Shigenari, Geoffrey Van Dyck, Nahuel Vega, Madeline Wong.
Durée : 1 h 05.
Production : Grand Théâtre de Genève.
Coproduction : Chaillot – Théâtre national de la Danse.
Production : La Plage.

Spectacle "Chaillot hors les murs" ayant eu lieu à la Grande Halle de la Villette du 21 au 24 juin 2024.

Safidin Alouache
Vendredi 28 Juin 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024