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Avignon 2022

•Off 2022• Christophe Alévêque "Vieux Con" Un art maîtrisé de l'humour féroce et insolent

"On peut être vieux con et moderne à la fois !" Telle est la sentence qui se dégage sans ambages du nouveau spectacle de Christophe Alévêque, tout en étant le constat lucide d'un humoristique, d'un père et d'un humain bon vivant que l'époque que nous vivons exaspère en bien des points.



© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Fidèle depuis plus de douze ans au Théâtre du Rond-Point (et réciproquement), Christophe Alévêque est à nouveau sur la scène de la salle Renaud-Barrault pour nous faire part de ses réflexions acerbes sur le monde d'aujourd'hui mais en usant de mélodies humoristiques, voire clownesques mais surtout engagées, décalées, hors des normes de plus en plus établies par les détenteurs de la bien-pensance. Le résultat nous procure des bouffées d'air salvatrices… Et il réussit encore à nous surprendre !

L'écriture de ce nouveau spectacle a commencé lors du premier confinement. "… la crise sanitaire a été plus qu'un révélateur, ça a été un vrai déclencheur… (…) C'est la réaction de la population qui m'a le plus alarmé. L'absence de débat, l'obéissance générale. J'ai trouvé ça terrible… Ce n'était plus possible, je n'étais plus en phase avec rien ! (…) Dès le deuxième jour du confinement ! J'ai pris des notes, et noté encore, jusqu'à ce que cela construise un texte puis un spectacle, qui n'est d'ailleurs pas basé sur la crise sanitaire. C'est plutôt un feu d'artifice de mauvaise humeur, qui aboutit à un grand éclat de rire ! Ce qui m'a le plus atteint, c'est cet ordre moral qui nous est tombé dessus…"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Prenant comme fil rouge sa nouvelle paternité et la transmission qui y est associée, Christophe Alévêque fait un large tour d'horizon de tous les aléas, les maux, les changements vécus ces dernières années, tant du point de vue moral, social, sociétal qu'idéologique... quitte à devenir un "vieux con résistant" apte à donner des éclairages lucides mais réfléchis à sa progéniture. "L'empire de la bien-pensance a fait basculer le résistant ordinaire, le libre penseur, dans le camp des vieux cons… C'est toute la difficulté ! Il n'est plus du tout dans le bon couloir, le libre penseur, celui qui pense et qui s'exprime, librement, sans aucune censure."

Avec l'aisance verbale et la talentueuse éloquence qui le caractérise, il surfe autant sur de petits agacements - bière et vin sans alcool, journée sans tabac, non-voyant au lieu d'aveugle, mal-entendant au lieu de sourd, etc. -, petits mais révélateurs d'une pensée aseptisée, que sur des sujets à haut risque, voire explosif, comme celui, délicat, du féminisme, toujours casse-gueule pour un homme.

Ici, Christophe Alévêque revendique une liberté d'expression totale et sans assujettissement aux inquisiteurs d'un conformisme réducteur, une parole sans autocensure ni censure. Si les évolutions liées, entre autres, au mouvement #Metoo ont enfin permis la reconnaissance et la condamnation des violences faites aux femmes, des viols, ainsi que l'acception de notions comme le non-consentement, il est néanmoins possible de restaurer un vrai dialogue entre les deux sexes. "Ne rendons plus des hommages mais des femmages." "Mais où est le plaisir ? Si ça continue, le corps ne servira plus qu'à mettre des vêtements dessus." "Comment je vas expliquer cela à mon petit ange ?"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Il n'hésite pas non plus à plonger dans certains paradoxes et quelques absurdités de notre actualité en insérant une récréative "revue de presse". "Plus on parle de laïcité, plus l'intégrisme religieux se développe, plus on parle d'écologie, plus la planète et le climat vont mal, plus on parle du vivre ensemble, plus les communautarismes se développent, plus on parle de société multiraciale, plus il y a de multi-racistes, plus la démocratie va mal, plus il y a de débats…"

Bien sûr, bien d'autres thèmes sont abordés avec beaucoup de dérision et de sel, dispensant une jubilation communicative. Cette liberté d'expression qui peut-être, pour certains, pourrait paraître "outrancière", sert de soupape salvatrice. C'est aussi ça le théâtre, une forme d'exutoire… et un art du contrepoint !

Pour clore ces quatre-vingt-dix minutes où l'on est sorti des sentiers balisés par la pensée officielle, le manichéisme ambiant, le victimisme institutionnel, Christophe Alévêque nous offre une reprise de "Danser encore" de HK, et entraîne le public - qui ne se fait pas prier - dans reprise du refrain :
Nous on veut continuer à danser encore/
Voir nos pensées enlacer nos corps/
Passer nos vies sur une grille d'accords.

"Vieux Con"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
De et avec : Christophe Alévêque.
Mise en scène : Philippe Sohier.
Mise en lumière : Frédéric Brémond.
Production : Smog Prod., en accord avec Alaca Prod. et Malotino.
Spectacle créé en juin 2020.
Durée : 1 h 30.

•Avignon Off 2022•
Du 8 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 18 h, relâche les 18 et 25 juillet.
Cinévox Théâtre, Salle 1, 22, place de l'Horloge, Avignon.
Réservations : 04 90 85 00 25.

Tournée
25 juin 2022 : Hirson (02).

Gil Chauveau
Samedi 28 Mai 2022

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023