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Trib'Une

"Naïs" Nous voulons de la vie au théâtre et du théâtre dans la vie

C'est avec cette magnifique citation de Jules Renard que j'ouvre les festivités, pour féliciter la joyeuse et talentueuse troupe très applaudie, hier soir, au théâtre du Lucernaire, à Paris. Paris, ville de lumière, de travaux à la pelle et lieu de naissance de Molière.



© Philippe Dayriès.
© Philippe Dayriès.
Molière, justement. Peu avant la remise de prix portant le nom de ce grand monsieur, un bilan peu réjouissant est tombé concernant les métiers oubliés, voire ensevelis, de cette cérémonie. En effet, ni scénographe, ni costumier, ni créateur sonore et lumière, ni maquilleur et coiffeur ne sont représentés, et ce, depuis plus d'une décennie. En assistant hier soir au spectacle "Naïs" de Marcel Pagnol, j'ai pensé que, parfois, il y avait nul besoin de s'affairer à ces dépenses-là quand brillent devant nous autant d'étincelles de plaisir, de partage et de talents dans une mise en scène chorégraphiée et sublimée par sa sobriété.

Cette sobriété sur le plateau, c'est à Thierry Harcourt qu'on la doit. Ce metteur en scène qu'on ne présente plus et qui multiplie les succès en passant, dernièrement, du théâtre des Variétés au théâtre Hébertot. Sur scène, c'est simple, réfléchi et malicieux aussi. Un peu comme ses yeux que j'ai croisés quelques minutes avant de pénétrer dans les lieux. Un grand metteur en scène amusé, fier et apaisé. Il peut, puisqu'en effet, la pièce est réussie.

© Philippe Dayriès.
© Philippe Dayriès.
En premier plan, le comédien Arthur Cachia, bien plus séduisant qu'il ne le pense de lui, puisqu'il joue "Toine" le bossu, amoureux transit de l'héroïne : Naïs. Cet acteur est formidable, incarnant à la perfection l'ami amoureux qui suit le cours de sa vie comme il peut, profitant de chaque instant heureux non loin de celle qu'il porte dans son cœur comme cette bosse dont il a hérité. Malheur !

Malheureux, ce père – excellent Patrick Zard' – qui ne cède rien à sa fille, peu enclin à la blague, mais très pince-sans-rire. Un paysan rasant, aigri par la vie et qui, peu à peu, voit sa fille le quitter pour céder aux bras d'un jeune homme plein de fougue, de désir et de promesses heureuses d'avenir. Cette fille "à papa" qui n'en est une que dans l'écrit, c'est elle, Naïs, incarnée délicatement et avec grande justesse par Marie Wauquier.

Naïs, jeune fille devenue belle jeune femme, fait fondre le cœur de Frédéric, jeune et riche bourgeois d'Aix-en-Provence. Jeunes devenus grands, la passion aussi s'est accentuée, ils s'aiment et veulent vivre cet amour en toute liberté. Mais le père ne le consent pas vraiment et tout devient poésie, rire et drame. Pagnol dans toute sa splendeur. Faire passer du rire aux larmes avec des mots bien ancrés, de la chaleur et l'accent de ce sud qui réchauffe le cœur des Parisiens usés par cette grisaille mortelle.

© Philippe Dayriès.
© Philippe Dayriès.
Mortelle, l'issue de cette comédie or not ? Toine restera-t-il l'ami, le protecteur, l'amoureux transi ? Naïs connaitra-t-elle l'amour éternel sans craindre son paternel ?
Pagnol révèle, à travers ses personnages, un autre caractère, encore si moderne, la différence de classe et sa plume est croustillante, drôle et émouvante.

De l'émotion, du rire et ne pas voir le temps qui passe, c'est ce que j'attends du théâtre. De la vie et la joie du partage. Le plaisir que prend chacun des personnages brillamment représentés par cette troupe enjouée mérite bien cette citation précédemment citée. Il serait donc bien dommage de se priver d'un si beau moment de partage et d'un spectacle aussi chaleureux qu'il est bien vivant.

"Naïs"

© Philippe Dayriès.
© Philippe Dayriès.
Texte : Marcel Pagnol.
Mise en scène : Thierry Harcourt.
Avec : Arthur Cachia, Kevin Coquard, Clément Pellerin ou Simon Gabillet, Lydie Tison, Marie Wauquier et Patrick Zard’.
Musique : Tazio Caputo.
Lumières : Thierry Harcourt.
Costumes : Françoise Berger et Yamna Tison.
Chorégraphie : Bénédicte Charpiat.
Production Les Fautes de Frappe.
Durée : 1 h 10.

Du 8 mai au 30 juin 2024.
Du mercredi au samedi à 18 h 30, dimanche à 15 h.
Le Lucernaire, Théâtre Noir, Paris 6e, 01 45 44 57 34.
>> lucernaire.fr

© Philippe Dayriès.
© Philippe Dayriès.

Isabelle Lauriou
Jeudi 23 Mai 2024

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