La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Modernité et fraternité au Centre de Musique de Chambre de Paris

Depuis deux saisons, le Centre de Musique de Chambre de Paris, fondé et dirigé par Jérôme Pernoo, propose un modèle innovant et fraternel du concert Salle Cortot, un lieu magique enfin dédié dans la capitale à la musique de chambre. Pour cette première session de l'année un spectacle formidable, "Parlez pas de Mahler !", en a marqué l'aboutissement.



© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.
Ce que propose le violoncelliste Jérôme Pernoo, avec son équipe de jeunes musiciens et de bénévoles prêts à le suivre au bout de son rêve d'une révolution du concert de chambre, est à son image : un projet chaleureux, généreux et très original. Jérôme Pernoo est tout simplement en train de réaliser une utopie lancée en 2015 : offrir des spectacles innovants et accessibles d'une très grande qualité artistique, débarrassés des rites compassés habituels à ce répertoire.

En plus de mettre le pied à l'étrier à de jeunes professionnels, le centre invite le public à deux concerts courts (une heure maximum) dans une ambiance conviviale soigneusement pensée : accueil bon enfant, réservation sans utilité et facilité d'accès (avec des cartes illimitées ou non et des prix comparables à ceux du cinéma), dialogues avec les artistes autour d'un verre et d'une tartine, liberté d'entrée et de sortie entre les rendez-vous, mise en espace pour un spectacle vraiment vivant. Bref, voici la version contemporaine et décomplexée des fameuses schubertiades du compositeur allemand, ces concerts conviviaux entre amis.

© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.
Tous les jeudis, vendredis et samedis pendant trois semaines, un même programme est proposé. Le public est invité à venir et revenir l'écouter sans modération. En novembre, le Quatuor Zaïde ouvrait le bal à 19 h avec le très beau Quatuor de César Franck en ré majeur. Puis un jeune compositeur proposait à 20 h 30 sa création "Freshly composed".

Enfin à 21 h, les jeunes instrumentistes du CMC interprétaient quelques extraits ou pièces de Poulenc à Bach en passant par Haydn et Beethoven avant d'accompagner le baryton Laurent Naouri dans deux chefs-d'œuvre de la littérature vocale : "La Mort du Poète" de Jérôme Ducros (né en 1974) et le cycle des "Chants d'un Compagnon errant" de Gustav Mahler, donné dans le superbe arrangement d'Arnold Schönberg (et avec accordéon).

Ce dernier rendez-vous s'offre malicieusement à l'œil et à l'oreille grâce au jeu des musiciens, aux lumières et à la vidéo pour situer, expliquer et présenter les œuvres hors des chemins battus et même avec une certaine impertinence (avec un échange de sms projeté derrière les artistes entre les prestations). Le Quatuor Zaïde a donné du quatuor de Franck (qu'il vient d'enregistrer), composé entre 1889 et 1890, une version dont l'autorité s'est affermie de l'Allegro initial au très beau Finale (Allegro molto).

© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.
D'une conception large et quasi symphonique, les quatre mouvements à l'écriture magistrale illustrent la forme cyclique voulue par le compositeur. Ils distillent un flot capiteux au charme entêtant auquel participe une certaine instabilité tonale. Dans ces flux et reflux orfèvres, on croit reconnaître ce qui pourrait être la célèbre petite phrase de Vinteuil, ce motif proustien.

Après un tremblement de terre et une tempête (indescriptibles !) de partitions dont se passent les musiciens toujours en mouvement, Laurent Naouri interprète le poème de Lamartine mis en musique par J. Ducros ("La Mort du Poète"). Une très belle œuvre (tonale) écrite comme un ultime hommage au Romantisme, que magnifie la voix aux profondeurs sublimes (particulièrement délectable dans cette Salle Cortot à l'acoustique idéale) du Baryton.

Le plaisir et l'émotion culminent avec les "Lieder eines fahrenden Gesellen" composés par Mahler entre 1880 et 1885. Quatre chants du désespoir amoureux pour ce Voyageur qu'une dernière errance dans une nature à la beauté insolente ne peut consoler. Sommet de mélancolie et de raffinement, le cycle semble être vierge à l'écoute : Laurent Naouri, immense, avec une projection, une diction et une expression vraiment admirables, se révèle inoubliable.

© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.
À partir de janvier, un second programme mariera les "Dichterliebe" de R. Schumann (avec le baryton Florian Hille accompagné par Tanguy de Williencourt), le Quintette de A. Dvorak, le "CD le passage !" des pianistes Guillaume Bellom et Ismaël Margain, sans oublier le traditionnel "Bach and Breadfast" du dimanche matin (le 11 février à 10 h). À noter une soirée "Dark Concert" le 14 décembre 2017 pour une expérience inédite avec le Quatuor Akilone, Yedam Kim (piano) et J. Pernoo au violoncelle.

Programme complet pour la saison 2017-2018 :
>> centredemusiquedechambre.paris
Centre de Musique de Chambre de Paris.
Salle Cortot.
78, rue Cardinet, Paris 17e.

Quatuor Zaïde : Charlotte Juillard (violon), Leslie Boulin Raulet (violon), Sarah Chenaf (alto), Juliette Salmona (violoncelle).

© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.
"Parlez pas de Mahler !".
Laurent Naouri, baryton.
Javier Rodriguez, flûte.
Bertrand Laude, clarinette.
Nadia Bendjaballah, percussions.
Sophie Aupied, accordéon.
Ryo Kojima, violon.
Brieuc Vourch, violon.
Tanguy Parisot, alto.
Caroline Sypniewski, violoncelle.
Cécile-Laure Kouassi, contrebasse.
Yedam Kim, piano.

Marianne Pernoo-Bécache, dramaturge.
Amélie Compain, Jean Rubak, animations.
Iris Feix, régie et lumières.
Jean-Baptiste Caspar, chargé de production et titrages.
Jérôme Pernoo, direction artistique.

© Jeroen Suys.
© Jeroen Suys.

Christine Ducq
Mardi 12 Décembre 2017

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024