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Théâtre

"Mme Ming" Une vie rêvée de progénitrice

Du roman d'Éric-Emmanuel Schmitt "Les dix enfants que Mme Ming n'a jamais eus", Xavier Lemaire en décline une adaptation théâtrale qu'il met en scène, nous faisant redécouvrir la poésie de l'auteur et son rapport à la Chine et à la fable romanesque avec ses méandres de sagesse.



© Frédérique Toulet.
© Frédérique Toulet.
Sur scène, un homme d'affaires (Benjamin Egner) dans son costume cintré, la cinquantaine, venu tout droit de France. Durant toute la représentation, il expose, dans un fil narratif, des lieux, personnages et situations. Il n'a ni nom, ni âge, seul son métier, un statut parental, celui d'être oncle de deux nièces, et une relation sexuelle, avec une femme incarnée par la violoniste (Elsa Moatti), le définissent. De protagoniste, il est aussi narrateur d'une fable dont il en dessine les contours. Au centre de la dramaturgie et d'une scénographie de couleur noire, Mme Ming (Isabelle Andréani) est assise sur son tabouret. Elle habite en Chine et est dame pipi. Passive dans sa posture, mais active dans sa gestuelle, elle raconte sa progéniture imaginaire où elle fait vivre chacun de ses enfants rêvés, au nombre de dix selon elle.

La Chine, vue en dehors de toute considération géopolitique, est appréhendée au travers de propos plein de sagesse où la mémoire de Confucius est rappelée à plusieurs reprises par l'interprète principale. Le pays est mis en exergue par Éric-Emmanuel Schmitt, avec sa culture ancestrale que portent les Chinois encore en eux selon l'auteur.

© Frédérique Toulet.
© Frédérique Toulet.
Au-dessus du plateau, se jouent des moments théâtraux le plus souvent avec notre homme d'affaires et des marionnettes de taille humaine avec lesquelles il échange. Celles-ci nous portent dans d'autres lieux et d'autres espace-temps. Créant des ruptures de jeu, elles font basculer notre cadre d'entreprise, porteur du récit, dans des contextes privé et professionnel manquant toutefois parfois de clarté.

Mme Ming est quant à elle porteuse de la fable autour de ses gamins imaginaires dont l'un d'eux peut être matérialisé, au-dessus d'elle, sous la forme d'un visage de pantin de couleur vive. Quant à notre homme d'affaires, il mène lui aussi une vie parallèle en s'inventant deux gamins et en jouant sur des échelles de temps et de lieu variées dues à son métier quand Mme Ming n'est, elle, située qu'à un seul lieu fixe. Des irruptions musicales, portées par quelques envolées de violon, font aussi leurs apparitions permettant de bousculer la linéarité de la narration.

Ses différentes ruptures donnent une dynamique de jeu dans laquelle le récit prend forme et vie. De celui-ci, on bascule à des situations rêvées, pensées, vécues intérieurement par les protagonistes et extériorisées par le biais d'un dialogue avec les marionnettes et pantins. Leurs voix s'entremêlent, comme celle de chaque enfant imaginaire de Mme Ming, à son récit qui viennent le nourrir. Scéniquement, les marionnettes bougent par le corps de Pascale Blaison qui s'immisce en ceux-ci pour les mouvoir. Ils matérialisent ainsi le rêve d'une grande progéniture de notre dame pipi.

© Frédérique Toulet.
© Frédérique Toulet.
C'est une image de la modernité, nourrie d'une course au temps, de "business" et d'ébats sexuels face à une tradition chinoise, sereine et sûre de ce qu'elle est, à l'image de notre héroïne assise sur son tabouret et lançant parfois des propos pleins de sagesse. L'homme est lui toujours debout, gesticulant de temps en temps avec un débit très animé. On voit ainsi, d'un côté, un rapport amoureux, calme et serein au temps quand de l'autre, il est haché et bousculé.

C'est un entre-deux entre les deux personnages et non uniquement un dialogue entre eux, car leurs relations s'échappent parfois pour l'homme dans des situations toujours extérieures quand, pour la femme, elles sont toujours intérieures et centrées sur elle et sa famille imaginaire. L'un est souvent happé par des éléments extérieurs quand pour l'autre, rien ne la trouble, même pas son rôle de dame pipi qui n'est nullement perturbé par une clientèle qui n'existe pas.

Quant au texte, le style d'Éric-Emmanuel Schmitt recèle une manifeste beauté, frôlant certaines formes de classicisme avec des phrases structurées par une charpente grammaticale nourrie d'attributs et d'épithètes. La pièce est tirée de son roman "Les dix enfants que Mme Ming n'a jamais eus" (2012) avec un verbe baigné de poésie.

© Frédérique Toulet.
© Frédérique Toulet.
La pièce pèche toutefois par quelques longueurs. La trame se construit autour de la présentation imaginaire de la grande progéniture de notre héroïne dans un pays où de 1979 à 2015, il y a eu la politique de l'enfant unique. La trame devient prévisible dès la présentation de l'un d'eux qui se poursuit ensuite avec les autres. L'humour, parfois au travers d'un propos plein de sagesse, apporte un souffle nouveau, une lumière, voire une pause théâtrale. Les maximes de sagesse donnent à la pièce du cachet pour rappeler aussi la figure marquante et toujours d'actualité en Chine de Confucius (551-479 avant J-C).

"Mme Ming"

© Frédérique Toulet.
© Frédérique Toulet.
D'après le roman "Les dix enfants que Madame Ming n'a jamais eus" d'Éric-Emmanuel Schmitt (Éditions Albin Michel).
Adaptation et mise en scène : Xavier Lemaire.
Assistant à la mise en scène : Silvio Marteel.
Avec : Isabelle Andréani, Benjamin Egner, Pascale Blaison (jeu et marionnettes), Elsa Moatti (jeu et violon).
Scénographie : Caroline Mexme.
Costumes : Virginie H.
Lumières : Didier Brun.
Création marionnettes : Pascale Blaison.
Création musicale : Elsa Moatti.
Durée : 1 h 25.

Du 25 janvier au 16 avril 2023.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 17 h 30.
Relâche exceptionnelle le 24 mars 2023.
Théâtre Rive-Gauche, Paris 14e, 01 43 35 32 31.
>> theatre-rive-gauche.com

Safidin Alouache
Mercredi 8 Mars 2023

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© Jean-François Delon.
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Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

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