La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Meute"… Petite chronique à vocation municipale de la monstruosité ordinaire

"Meute", Théâtre national populaire, Villeurbanne

Justice, prévention, répression, procès, détention, incarcération, remise de peine, récidive, réinsertion, probation, réhabilitation… Mots rouages construisant la mécanique d'un système judiciaire que devrait contrôler le citoyen ? Oui, sans doute, par son vote pour des députés qui créent les lois que nous leur suggérons… C'est cette interrogation que porte le texte de Perrine Gérard et que projette Julie Guichard dans sa mise en scène.



© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
Une petite ville comme les autres, face à la délinquance et ses délits plus ou moins importants, à ses conséquences et à la nécessaire réinsertion de ses auteurs pour que la communauté puisse avancer, faire que la vie en société soit possible. Ici, ce fut l'incendie criminel d'un bâtiment public qui coûta la vie à deux personnes. Après dix de détention, le coupable sort avec, en perspective d'avenir, une promesse de réinsertion soutenue par un accompagnement policier, féminin et initialement bienveillant.

Mais l'appel de la vengeance grince le soir à la lisière des quartiers, amplifié, ou pas, par la douleur non éteinte de la sœur d'une des victimes. Et un groupe à la revendication justicière se forme, s'enflamme, commet l'irréparable… S'ensuit, dans une logique imparable, le procès, et les dérives d'une ville entière constituée en meute, qui voulut se faire justice elle-même.

Les protagonistes ont l'âge des comédiens (ou l'inverse !). Tout comme l'auteure et la metteure en scène, tous trentenaires (peu ou prou). Et dans ce regard, dans cette mise en perspective du système judiciaire, de ses dérapages, de ses excès et de son manque de lucidité, cela prend un sens particulier.

© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
Il s'agit ici d'un théâtre de fiction mais puisant dans une documentation fort bien renseignée et portant une approche novatrice, sortant des conventions pour poser des questions qui peuvent déranger car ancrées, volontairement ou involontairement, dans une actualité plus générale.

Les réflexions posées par l'auteure - alimentées par les échanges permanents avec les différents artistes participant à cette création et tout au long de celle-ci - prennent aujourd'hui une tournure imprévue, non envisagée, inconcevable au moment de l'écriture, en entrant involontairement en résonance avec la réalité citoyenne des gilets jaunes, posant eux aussi, de manière cruellement concrète, les problématiques des inégalités sociales, de la justice punitive, expéditive, de la répression aveugle… et aveuglante…

"Meute" pose, dans un acte théâtral tout d'abord violent, rapide, nerveux, puis plus posé comme une recherche en état de naissance, une question centrale : ce qui ne peut être permis au niveau de la nation, représentation globale régie par les règles de la justice républicaine, peut-il être transgressé à l'échelon d'une ville, microcosme facilitant/autorisant une déformation de la démocratie, et peut-on, par voie de conséquence, instaurer une déviance, le "se faire justice soi-même" ? Résultat généré par un groupe, une meute - tribu ou communauté - qui conteste, transgresse, se met à l'écart de règles et de normes en vigueur dans un système social donné.

© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
Au final, dans le cheminement de cette société crépusculaire, en acceptation de l'avènement de la monstruosité ordinaire, naît la pensée d'un nouveau combat. "Diminuer le nombre d'emprisonnements provisoires, développer, mieux organiser, structurer la réinsertion" émane du discours du député-maire de la ville imaginée à l'assemblée nationale." Le débat est lancé, mais le citoyen par forcément impliqué.

"Meute", Perrine Gérard, Julie Guichard, la compagnie Le Grand Nulle Part, artistes sensibles et catalyseurs, se font lanceurs d'alertes sur nos dérives et dérivations actuelles mais aussi sur les réactions, violentes souvent, qu'elles génèrent… Un bel exemple d'une nouvelle et jeune pensée artistique…

"Meute"

© Michel Cavalca.
© Michel Cavalca.
Texte : Perrine Gérard.
Mise en scène : Julie Guichard.
Collaboration artistique : Perrine Gérard.
Avec : Liza Blanchard, Joseph Bourillon, Ewen Crovella, Manon Payelleville, Mathieu Petit, Arthur Vandepoel.
Scénographie : Camille Allain Dulondel.
Composition musicale : Guillaume Vesin et Quentin Martinod.
Costumes : Sigolène Pétey, assistée de Sarah Chabrier.
Lumières : Arthur Gueydan.
Son : Guillaume Vesin.
Durée : 2 h 15 environ.
Résidence de création.
Coproduction Théâtre National Populaire, Compagnie Le Grand Nulle Part.
"Meute" est lauréat de l'aide à la création de textes dramatiques - ARTCENA.

Du 23 janvier au 8 février 2019.
Du mardi au samedi à 20 h 30, sauf le jeudi à 20 h, dimanche à 16 h.
TNP Villeurbanne, Petit théâtre, salle Jean-Bouise, 04 78 03 30 00.
>> tnp-villeurbanne.com

Gil Chauveau
Mercredi 6 Février 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024