La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Mahabharata - Nalacharitam"… mythe et fabuleux conte

"Mahabharata – Nalacharitam", La Villette, Paris

Le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi reprend à la Grande Halle de la Villette sa création "Mahabharata - Nalacharitam" qu'il avait présentée au festival d'Avignon en 2014. L'expressivité, la musique et les éléments vocaux sont les composantes majeures du spectacle faisant de celui-ci un véritable conte.



© K. Miura Shizuoka.
© K. Miura Shizuoka.
Le Mahabharata (littéralement "La grande guerre des Bharata" ou "La grande histoire des Bharata") est un mythe indou composé de dix-huit livres dont Satoshi Miyagi a choisi l'un de ses poèmes appelé "Nalacharitam". La scénographie découvre un espace de jeu de trois cent soixante degrés permettant des entrées-sorties presque "volées" car pouvant être non vues ou non appréhendées par le spectateur. Cet effet de surprise fait découvrir au public des éléments ou des personnages au fil de l'eau. La représentation se découpe ainsi par instants, par moments, et non de façon transverse interdisant le regard omniscient du spectateur.

L'histoire raconte l'aventure du roi Nala, possédé par le démon Kali qui perd son royaume et sa femme, la princesse Damayanti. Il tente de la reconquérir ainsi que son règne. L'histoire, au-delà de sa trame dramaturgique, est intéressante dans l'approche adoptée. Celle d'une déclinaison artistique sur deux plans.

Le premier concerne le jeu corporel, dans lequel les postures et les attitudes sont presque pantomimiques. Celui-ci est central et se déroule uniquement sur scène. Le second est lié à la voix. Celle-ci est en effet jouée, côté cour, légèrement en dehors de l'aire de jeu comme si elle venait d'un autre ailleurs.

© K. Miura Shizuoka.
© K. Miura Shizuoka.
Les huit acteurs, assis et dédiés uniquement à cet exercice, utilisent parfois leurs bras, des mains jusqu'aux coudes, pour effectuer une rotation de cent quatre-vingts degrés, paumes devant leurs visages et se retournant vers le public. Ces rotations donnent ainsi un aspect énigmatique. La voix devient un élément très important, car habitant un autre lieu que la scène, mais très présente à celle-ci.

Ainsi la réalité humaine est savamment boutée de la représentation. Les corps font vivre les personnages dans un rapport lié à l'espace et au temps quand la parole incarne l'émotion et les sentiments.

Tout est habillé de blanc. Les acteurs jouent derrière des masques ou un maquillage fort. Le jeu est étiré dans les mouvements, souvent élancés, et toujours très marqués. Seuls les visages peuvent apparaître par instants presque immobiles.

05 © Yasuo Inokuma.
05 © Yasuo Inokuma.
Nous sommes dans un autre théâtre avec son propre langage. Ici, la voix est découplée scéniquement du corps et les personnages portent des masques. Des éléphants et un tigre apparaissent aussi habillés de voiles blancs. La réalité est interdite de plateau. Rien n'est réel. Même la voix, dans des tons souvent assez graves, n'est pas, à dessein, naturelle. Elle est en effet très appuyée.

Il y a un très beau moment d'humour, avec cette coupure "publicitaire", faisant la promotion du thé que boit la princesse. Satoshi Miyagi a intégré aussi quelques mots français qui donnent une connotation là aussi humoristique.

Hors du plateau et devant celui-ci, se trouve un orchestre de percussions qui donne le tempo, le rythme durant la représentation. Tout ce qui est "son" est hors scène, la musique accompagne le silence joué sur les planches.

Le spectacle est superbe d'originalité et Satoshi Miyagi réussit à faire émerger du mythe, toute sa quintessence pour le décliner en un conte qui ressemble à un rêve éveillé.

"Mahabharata - Nalacharitam"

© Ryota Atarashi.
© Ryota Atarashi.
Spectacle en japonais surtitré en français.
Texte : Azumi Kubota.
Mise en scène : Satoshi Miyagi.
Assistant à la mise en scène : Masaki Nakano.
Dramaturgie : Yoshiji Yokoyama.
Avec : Kazunori Abe, Naomi Akamatsu, Yuya Daidomumon, Asuka Fuse, Maki Honda, Moemi Ishii, Sachiko Kataoka, Yukio Kato, Yudai Makiyama, Micari, Haruka Miyagishima, Fuyuko Moriyama, Sayako Nagai, Kouichi Ohtaka, Yoneji Ouchi, Yuumi Sakakibara, Yu Sakurauchi, Yuzu Sato, Junko Sekine, Morimasa Takeishi, Momoyo Tateno, Ayako Terauchi, Hisashi Yokoyama, Ryo Yoshimi, Yoichi Wakamiya, Takahiko Watanabe.
Musique : Hiroko Tanakawa.
Décors : Junpei Kiz.
Création lumières : Koji Osako.
Création costumes : Kayo Takahashi.

© K. Miura Shizuoka.
© K. Miura Shizuoka.
Accessoires : Eri Fukasawa.
Direction technique : Atsushi Muramatsu assisté de Takahiro Yamada, Yukio Haraikawa.
Régie lumières : Hiroya Kobayakawa.
Régie son : Koji Makishima, Masashi Wada.
Coiffure, maquillage : Kyoko Kajita.
Habilleuse : Chigusa Sei.
Régie sous-titres : Takako Oishi.
Durée : 1 h 50.

Du 19 au 25 novembre 2018.
Lundi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
La Villette, Grande Halle, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com

Safidin Alouache
Vendredi 23 Novembre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024