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Théâtre

"Lieux communs" Extension du domaine de la lutte… je doute, donc je suis

La double entrée du titre de la pièce écrite et mise en jeu par Baptiste Amann préfigure son dessein. Loin d'être univoque, ce titre – "Lieux communs" –, pour être appréhendé dans sa pluralité de sens, invite à une suspension du jugement… Deux pistes non contradictoires, mais complémentaires se présentent. Il peut être entendu comme la réaffirmation dans l'œuvre de l'auteur metteur en scène de l'importance accordée aux lieux partagés faisant communauté (cf. "Des territoires", Avignon 2021). Et/ou comme le questionnement du prêt-à-porter de la réflexion commune, conduisant chacune et chacun à formuler des avis catégoriques sur le monde tel qu'il va ou ne va pas sans s'accorder la moindre pause réflexive.



© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Une représentation mettant en jeu "La lune fauve" – recueil de poèmes ayant pour auteur un ancien condamné accusé d'un féminicide qu'il n'a jamais reconnu – menace d'être empêchée par une manifestation féministe bloquant l'entrée du théâtre… Au travers de cette situation fictive, aux relents de réel et digne d'un roman noir d'Hervé Le Corre, Baptiste Amann nous immerge dans quatre lieux imbriqués dans la même intrigue. Les coulisses d'un théâtre, la salle d'interrogatoire d'un commissariat, l'atelier d'un restaurateur de tableaux et un de studio de télévision, autant de chaudrons accueillant des bouillons de cultures où les personnages vont s'affronter jusqu'à leur dévoilement… mais "la vérité", insaisissable elle, échappera à toute révélation, le régime du doute étant au cœur de la "centrale nucléaire" du projet artistique.

Ainsi propulsés d'emblée dans les coulisses d'un théâtre en pleine effervescence, les spectateurs (invités par procuration) découvrent-ils l'envers du décor, comme un écho de la réalité aperçue au travers du miroir de la fiction en train de se construire. L'agitation gagnant la metteuse en scène soumise à la pression des manifestantes l'amène à rappeler à sa troupe quelques "vérités", sorte de manifeste adressé aux artistes mis mal à l'aise par ce contexte, mais aussi destiné à nous, spectateurs… "Les théâtres se doivent de demeurer des sanctuaires sur lesquels ne peuvent peser la morale vengeresse d'un tribunal populaire. Le temps du théâtre se doit d'échapper à la tyrannie de l'événement". Mettre à jour la vérité sur la culpabilité de l'auteur des poèmes, libéré après avoir purgé une lourde peine de prison, n'est pas l'objet du Théâtre. Explorer les conflits interpersonnels, l'est.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Après que la représentante du collectif féministe a été in extrémis autorisée à prendre la parole – opposant à la liberté de création, la mission d'intérêt public d'un CDN non conciliable avec la promotion d'"un texte écrit par un tueur de femmes" – on se transporte sur un plateau de télévision. Là, interrogés par un journaliste complaisant, deux invités. Un artiste et un scientifique, deux outres vides enflées de prétention pédantesque qui se livrent à un numéro désopilant. Tournant sur leur fauteuil comme des girouettes, bourrés de tics de langue et de langage, multipliant les mimiques, l'un glosant à partir de l'œuvre de Pierre Soulages sur l'ouverture du "champ mental", seul capable d'éclairer le tableau, l'autre sur la "dramaturgie de l'irrésolu", nourrissant les rapports humains… Succède aux deux pitres imbus de leurs vérités, une autre invitée, en tous points opposée. Une réalisatrice "lesbienne, gitane et féministe" vibrante d'une colère rentrée dont… on découvrira plus tard la raison.

Troisième lieu, les sous-sols du commissariat de police où un lieutenant de police, convaincu d'avoir entre ses mains le coupable, s'apprête à faire subir (quinze ans auparavant) un interrogatoire particulièrement musclé à l'auteur (supposé) du meurtre de la fille d'un potentat d'extrême droite…

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Quatrième lieu, l'atelier d'un restaurateur de tableaux où le propriétaire s'affaire sur une toile vandalisée évoquant une scène de crime. Exalté, il confie à sa nouvelle stagiaire le lien entre cette œuvre picturale au sujet dramatique et une symphonie aux accents déchirants, toutes deux réunies par la tragédie humaine qui les trame. Là encore, on découvrira plus tard les correspondances entre le sujet du tableau et une situation traumatisante vécue, ainsi que la relation singulière qui unit chacun, le restaurateur de tableaux et la stagiaire, aux deux protagonistes du crime.

Tous les acteurs du drame étant présentés in vivo, l'action va progresser à un rythme précipité pour nous conduire vers un dénouement… autre que celui du dévoilement de la vérité sur la culpabilité ou non de l'auteur de "La lune fauve", texte poétique inspiré par son enfance maltraitée. Les vérités dévoilées seront d'un autre ordre, celui de la complexité humaine, réfutant les jugements pré-fabriqués par la pensée commune mise en commun.

Insérant des chorégraphies "parlantes" comme celle des CRS en appui au conflit paroxystique opposant l'adjudant et le prévenu, les nœuds d'opposition vont voler en éclats. Ainsi des motifs intimes opposant la réalisatrice invitée au plateau et la metteuse en scène de la pièce, ceux plus politiques et violents, opposant la même réalisatrice à son intervieweuse, jeune assistante de communication libertaire ne pouvant admettre que l'on puisse défendre une pièce embrassant, selon elle, le point de vue d'un criminel.

© Audrey Scotto.
© Audrey Scotto.
Les personnages vont se dévoiler dans toutes les vérités de ce qu'ils sont, avec leur part d'ombres et de lumières. Ainsi de l'adjudant de police ne reculant devant aucune méthode, fût-elle sadique, convaincu qu'il a tous les droits pour faire advenir les aveux du coupable, et se montrant un père attentionné pour sa fille qu'il adore…

Ainsi de l'intervieweuse agressive découvrant, au travers du film de la réalisatrice, l'humanité qu'elle lui refusait… Ainsi des confidences de la stagiaire, qu'on découvrira très proche du supposé meurtrier, éclairant intimement son passé d'homme non violent, fils d'une lignée de pères violents dont elle a eu, elle aussi, à souffrir. Ainsi du réparateur de tableau, très proche lui aussi de la victime, ayant rompu avec sa famille d'extrême droite et étant rattrapé par l'annonce de sa sœur assassinée, venant pulvériser les "monstrueuses coutures" du monde artistique, monde refuge qu'il avait fantasmé.

De réalisation en réalisation, le monde selon Baptiste Amann est décidément un monde ne pouvant être réduit à la pensée… non pensée. Aux antipodes des prêches déclamatoires, cet auteur viscéralement en quête d'un je-ne-sais-quoi qui échappe dès que l'on croit l'entrevoir, donne à entendre et à voir des réalités mouvantes marquées au sceau de la subtilité de son écriture et de l'inventivité de sa mise en jeu. Ainsi la force de sa proposition présente d'emprunter les ressources de la fiction pour dire le réel. Des "Lieux communs"… n'ayant rien de commun, si ce n'est de faire communauté.
◙ Yves Kafka

Vu le lundi 8 juillet 2024 à L'autre scène du Grand Avignon.

"Lieux Communs"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Création 2024.
Spectacle en français surtitré en anglais.
Texte : Baptiste Amann (publié aux Éditions Actes Sud-Papiers en avril 2024).
Mise en scène : Baptiste Amann.
Assistants à la mise en scène : Balthazar Monge, Max Unbekandt.
Collaboration artistique : Amélie Énon.
Avec : Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla.
Scénographie et lumière : Florent Jacob.
Son : Léon Blomme.
Costumes : Estelle Couturier-Chatellain, Marine Peyraud.
Traduction pour le surtitrage : Élizabeth Hewes (anglais).
Régie générale : Philippe Couturier.
Régie plateau : François Duguest.
Régie lumière : Clarisse Bernez-Cambot Labarta.
Régie son : Léon Blomme.
Construction des décors : Ateliers de la Comédie de Saint-Étienne-CDN.
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National (Paris).
Production L'Annexe.
À partir de 14 ans.
Durée : 2 h 30.

Du 24 septembre au 10 octobre 2024.
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi à 18 h.
TPM Théâtre Public - CDN, Salle Jean-Pierre Vernant, Montreuil (93), 01 48 70 48 90.
>> theatrepublicmontreuil.com

Tournée
16 et 17 octobre 2024 : Le Zef - Scène nationale, Marseille (13).
Du 27 au 29 novembre 2024 : La Comédie - CDN, Béthune (62).
Du 5 au 8 février 2025 : TnBA - CDN Bordeaux Aquitaine, Bordeaux (33).
13 et 14 février 2025 : Théâtre de l'Union - CDN du Limousin, Limoges (87).
Du 18 au 21 février 2025 : La Comédie - CDN, Saint-Étienne (42).

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.

Yves Kafka
Jeudi 5 Septembre 2024

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"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

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Brigitte Corrigou
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Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024