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Danse

"Liber" Exploration musicale et chorégraphique à fleur de peau aux frontières de nos vibrations intérieures

Au croisement des champs artistiques s'élaborent des relations singulières émanant de dialogues inédits, poétiques et sensoriels, entre le corps et le son. Des échanges entre une compositrice, musicienne, performeuse, Maguelone Vidal, et une artiste chorégraphique, danseuse aux volutes organiques, Hanna Hedman, naît une partition d'un genre nouveau, à la mystérieuse aura, créant une composition emmenant le spectateur sur des territoires inexplorés où la sève créatrice circule au travers de tous ses sens sensibles.



© DR.
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Plateau nu d'où naît un fond sonore indicible, allant crescendo, indescriptible, mais laissant déjà poindre un battement organique comme des tapes corporelles, percussions générées par les mains frappées sur le thorax, sons profonds vibrant à même la peau, peau de tambour, peau sensible.

Apparition de l'être charnel, corporel, une danseuse, Hanna Hedman, évolue en courbes sensuelles, réponses aux oscillations phoniques dont on ne sait pas encore qu'elle en sera un stimulateur. La vibration sonore prend de l'ampleur pour devenir plus percussive, séquencée façon mitraillage, impression de chutes rapides de billes sur une toile tendue, puis résonances de tôles frappées, aux effets plus industriels, sentiments de machineries sidérurgiques inspirés par les timbres amplifiées de nos battements cardiaques.

Dans cet univers mystérieux, empreint de nudité, tant spatiale que corporelle, arrivent des instruments - tambours, harpe, console électronique. Un instant l'apaisement naît avec la harpe puis reprise de lourds battements rythmés issus des deux tambours. L'intériorité organique est omniprésente, jouant même d'une séquence ADN. Une partition poétique se fait aussi jour, poème distillé par Hanna Hedman, long monologue, exprimé dans une langue qui semble énigmatique, secrète, inventée… en réalité, le suédois, peu habituelle pour le public français.

© DR.
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L'artiste chorégraphique évolue sur scène parée de capteurs sur quelques endroits de son territoire (épi)dermique, organe visible et intelligible, enveloppe animale. Ces transducteurs émetteurs transmettent à Maguelone Vidal des données liées aux états de corps d'Hanna. À l'extérieur avec les contractions musculaires, le ruisselement de la sueur, les frottements que la danseuse effectue avec ses cheveux crépus contre son crâne. À l'intérieur de l'organisme : influx nerveux et musculaires, circulation du sang dans les vaisseaux…

Cela confère ainsi à certains de ses mouvements la capacité de sculpter, en direct, la matière musicale basée sur le traitement de sons issus de son corps. Le voyage au sein de la géographie de cet être en mouvement, animé par une exploration de l'espace conçu d'éléments concrets ou virtuels, embarque peu à peu, dans son sillage visuel et sonore, la harpiste électrique Félicité de Lalande et le percussionniste Philippe Cornus.

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Cela peut paraître paradoxal, mais ici l'improvisation n'a pas sa place. Conçu avec dextérité, fruit d'un long travail de recherches en amont, la composition musicale et l'écriture chorégraphique élaborées par Maguelone Vidal sont ciselées, précises, riches d'ornementations et de trouvailles à même de s'adapter à sa maîtrise de l'électronique et à ses talents d'instrumentiste. Ces matériaux sonores, bénéficiant d'une création d'instruments électroniques spécifiques permettant le jeu en temps réel, pouvant ensuite être triturés, modifiés, enrichis en direct et exprimer les pulsations organiques intérieures et la gestuelle corporelle extérieure de la danseuse Hanna Hedman.

Orfèvre de la musique, Maguelone Vidal crée une composition ciselée, à l'extrême précision, tout est orchestré pour la maîtrise des pulsations organiques, animales. Elle hybride écriture musicale et chorégraphique à l'endroit de la peau, jonction poreuse entre extérieur et intérieur, qui permet ici à la danse et à la musique de s'engendrer l'une l'autre. En botanique, "Liber" désigne la pellicule conductrice de sève située entre le bois et l'écorce extérieure de l'arbre, sur laquelle on écrivait avant la découverte du papyrus.

"Liber" est une hybridation virtuose d'une artiste, Maguelone Vidal, défrichant en permanence de nouveaux sentiers spectaculaires, inventant de nouvelles aventures pluridisciplinaires en brisant les frontières des multiples territoires artistiques et en créant des liaisons intimes inédites entre les arts.

"Liber"

© DR.
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Création 2021 musique/danse.
Mise en scène, composition, électronique, dramaturgie : Maguelone Vidal.
Assistant à la mise en scène : Fabrice Ramalingom.
Avec : Hanna Hedman (artiste chorégraphique), Félicité de Lalande (harpe électrique), Philippe Cornus (percussions).
Lutherie informatique et coréalisation musique électronique : Vivien Trelcat.
Collaboration à la dramaturgie : Matthieu Doze.
Scénographie : Emmanuelle Debeusscher.
Création lumière : Romain de Lagarde.
Création costumes : Catherine Sardi.
Ingénieur du son : Morgan Beaulieu.
Régie lumière : Mathieu Zabé.
Régie générale et plateau : Jean-Marie Deboffe.
Production : Cie Intensités - Fabrique de créations hybrides.
Durée : 1 h 10.

Spectacle vu le 13 novembre 2021 dans le cadre du Festival "Aujourd’hui Musiques" à L'Archipel - Scène Nationale de Perpignan.
Maguelone Vidal est artiste associée à L'Archipel pour les saisons 2020/2021 et 2021/2022.

© DR.
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18 novembre 2021 à 20 h.
Théâtre de Nîmes, Salle Bernadette Lafont, Nîmes (30), 04 66 36 65 00.
>> theatredenimes.com

30 mars 2022 : Théâtre des Quatre Saisons, Gradignan (33).

Gil Chauveau
Mardi 14 Décembre 2021

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023