La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les bijoux de pacotille" Un bijou, certainement. De pacotille ? Non… Brillantissime !

En 2018, au théâtre du Rond-Point, loin du vacarme urbain, j'ai rencontré, de loin, une comédienne. Une jolie brune au visage fin portant sur elle bien plus qu'une robe, couleur pastel. Cette fillette, devenue femme, porte surtout avec elle, un hommage vibrant à ses parents, trop vite disparus, alors qu'elle n'était qu'une enfant… Étonnant ! D’être au rond-point quand il est question d’accident de la route, non ?



© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Loin de ce vacarme urbain, un public varié - lycéens, actifs et retraités - s’imprègne dans le noir de la voix douce et envoûtante de ce petit bout de femme revenant sur le drame qui l’a frappée alors à peine âgée de 9 ans. Le drame, le vrai, celui qui surgit du jour au lendemain.

Le silence, puis la lumière et cette mère… la sienne, sa maman. "Maman" mot qu’elle ne prononcera pas, tout comme "papa". Difficile de comprendre qu’on retire à une gamine de 9 ans les premiers mots sortis de sa bouche après les incontournables "areuh"… C’est vrai, qui des deux arrivent en tête ? "Papa", "Mama" "maman" ?… Il y a la mère qu’elle raconte, et la mer qui remonte, pieds nus sur la plage de ses souvenirs. Il y a le père qu’elle évoque avec des mots tendres et sa voix de velours. Un lien fort, sincère, qui me prend au corps.

Perdre un parent, c’est une épreuve dans la vie d’un enfant, mais les deux… Et pourtant, on sourit, assez souvent même. Chaque détail est poignant. Son frère, le grand-père, le baby-sitter, tous acteurs d’un film dont le scénario vient briser les cœurs. Un frère, une sœur. Un cauchemar dont il faut se réveiller. C’est-à-dire, accuser le coup ! Encaisser le choc. Vivre, simplement.

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
J’ai connu une femme, proche de moi, qui, elle, à la mort accidentelle de sa maman, a carrément perdu sa voix. Aphone pendant plus d’un mois. Impensable de ne plus jamais appeler son père "papa", ni de lui tirer le bras pour aller au cinéma. Inimaginable de ne plus dire à sa mère : "maman, tu me prêtes tes boucles d’oreilles ?", si triste de se dire qu’un jour l’un et l’autre, en effet, ne seront plus là. Mais pas tout de suite, pas comme ça. Il n’y a que dans les mauvais films qu’on assiste à ça, n’est-ce pas ?

On suit son récit, encore, on sourit. De la douceur dans les mots, et puis soudain : le choc. L’accident, la sortie de route. Un élément surgissant de nulle part qui brise les tympans dans la salle Roland Topor de ce théâtre parisien. La sonnerie d’un téléphone portable a retenti. Une musique de "d’jeun" comme on dit ! Un morceau de dance pour les jeunes filles en fleur et Roland Topor qui n’aurait certainement pas ri.

La précieuse comédienne a étrangement réagi face à cet énergumène malpoli. Ni bien ni mal, juste un regard bien senti. Avec le sourire. Elle aurait pu arrêter le spectacle, se mettre en colère, critiquer cette mode qui peut foutre un spectacle en l’air. Elle aurait pu dire : "si j’étais ta mère …". Mais non. Et puis, à quoi ça sert ? Alors, la comédienne, habile sur ses pointes, a repris le fil de son histoire. Le public, à l’exception de cette jeunette, lui rendait si bien.

Au théâtre du Rond-Point, loin du vacarme urbain, j’ai enfin rencontré cette comédienne. Une jolie brune au corps gracile vêtue d’une robe, couleur pastel. Une ballerine, demoiselle devenue femme qui a offert sur un plateau un vrai bijou. Un solo d’or, admirablement maîtrisé par la subtile Céline Milliat-Baumgartner avec pour valeur ajoutée une mise en scène élégante et très soignée de Pauline Bureau.
Un bijou, certainement.
De pacotille ? Non.
Brillantissime.

Vu en mars 2018 au Théâtre du Rond-Point, Paris.

"Les bijoux de pacotille"

© Pierre Grosbois.
© Pierre Grosbois.
Texte : Céline Milliat-Baumgartner (publié aux éditions Arléa).
Mise en scène : Pauline Bureau.
Avec : Céline Milliat-Baumgartner.
Scénographie : Emmanuelle Roy.
Costumes et accessoires : Alice Touvet.
Composition musicale et sonore : Vincent Hulot.
Lumière et régie générale : Bruno Brinas.
Dramaturgie : Benoîte Bureau.
Vidéo : Christophe Touche.
Magie : Benoît Dattez.
Travail chorégraphique : Cécile Zanibelli.
Régie générale et son : Sébastien Villeroy.
Régie Lumière : Pauline Falourd.
Production La Part des Anges.
Durée : 1 h 05.
Spectacle conseillé à partir de 13 ans.

Du 10 au 21 mai 2022.
Mardi, mercredi et vendredi à 20 h, jeudi à 19 h, samedi à 16 h.
Théâtre 14, Paris 14e, 01 45 45 49 77.
>> theatre14.fr

Isabelle Lauriou
Jeudi 28 Avril 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024