La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Les Caprices de Marianne"Un spectacle d'une étonnante modernité où éclate tout le génie de Musset !

En septembre dernier, un nouveau théâtre, tout beau tout neuf, à l'attrayante façade rouge, ouvrait ses portes rue du Retrait, dans le 20ᵉ arrondissement de Paris. L'ancien Théâtre de Ménilmontant reprenait soudain vie, dans de nouveaux atours, sous la houlette de Nathalie Lucas et de Serge Paumier, déjà directeurs du Théâtre des Gémeaux à Avignon.



© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Pièces classiques et contemporaines, spectacles musicaux et jeune public composaient d'emblée cette première saison. Ainsi, en ce début d'année, se joue un chef-d'œuvre du théâtre romantique, trop rarement monté hélas : "Les Caprices de Marianne" d'Alfred de Musset (1810-1857). Une petite merveille en deux actes où la langue de Musset n'a jamais semblé si belle.

"Les Caprices de Marianne", publiée dans la Revue des Deux Mondes le 15 mai 1833, est la pièce d'un jeune homme de 22 ans. Même si le texte, destiné originellement à la lecture, sera profondément remanié en 1851 en vue de sa création à la Comédie-Française, le poète y livre les deux facettes de sa personnalité à travers deux jeunes gens, Octave, dandy désenchanté à la vie de débauche, et Coelio qui aspire à un amour éternel. Gaston Baty, qui monta la pièce en 1935, dépeint Musset en ces termes : "Deux êtres vivaient en lui tour à tour. L'un jouisseur, brillant, débauché, ironique, se contentait des amours qui passent ; l'autre tendre, ardent, mélancolique et douloureux, rêvait de la grande passion qui viendrait emplir sa vie." Tout le charme de la pièce réside dans cette belle dualité…

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Rappelons l'intrigue en quelques mots. Le jeune Cœlio est épris de Marianne, l'épouse du vieux juge Claudio. Pour lui signifier son amour, il fait jouer la sérénade sous ses fenêtres et tente de l'aborder par l'entremise de l'intrigante Ciuta. Mais il n'obtient que refus de la jeune femme. Au désespoir, il confie son amour à son ami Octave. Cousin par alliance de la belle Marianne, celui-ci se propose d'intercéder en sa faveur. La fidèle épouse reste indifférente à Cœlio, mais tombe amoureuse d'Octave et, en termes voilés, lui ouvre la porte de sa chambre à coucher. Octave, tout chamboulé, envoie Cœlio à sa place, par loyauté pour son ami. Mais, Claudio, craignant l'infidélité de sa femme, a engagé des spadassins pour se débarrasser de l'impudent. Cœlio, pris au piège, est tué. Octave, accablé, renonce à aimer Marianne.

Qualifiée de "comédie" par son auteur, la pièce est, en réalité, un drame sur l'impossibilité de l'amour. La belle langue de Musset, délicatement ciselée, au lyrisme maîtrisé, touche merveilleusement juste. "Vous ne pouvez ni aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum", lance Octave à sa cousine à l'acte II. L'insulte est d'autant plus cruelle que la tournure en est jolie.

Philippe Calvario, dont le talent ne tarit pas, signe ici une mise en scène d'une grande finesse de jeu où subrepticement se dessine l'amour naissant entre Marianne et Octave. Au contact l'un de l'autre, ces deux êtres se révèlent à eux-mêmes et vont évoluer tout au long de la pièce. Calvario, dans le rôle d'Octave, et Zoé Adjani, dans celui de Marianne, déploient une belle sensibilité ainsi qu'une grande palette de jeu. Cynique et nonchalant à souhait, l'épicurien patenté se voit rattrapé par la beauté et l'intensité du sentiment amoureux. Sa joyeuse extravagance fait progressivement place à la gravité. Dans la scène finale, son "Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Coelio qui vous aimait", sonne, de manière bouleversante, comme un aveu.

À ses côtés, Zoé Adjani offre le portrait d'une femme d'une étonnante modernité, clamant haut et fort son libre arbitre. Son morceau de bravoure, lorsqu'elle lance à Octave "Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ?", est profondément déchirant. Loin d'être cantonnée au rôle de la dévote accrochée à son livre de messe, elle souffre, aime et se rebelle contre sa condition. Mikaël Mittelstadt, tendre et mélancolique en diable dans le rôle de Cœlio, clôt ce formidable trio. Christof Veillon (Claudio), Delphine Rich (Ciuta et Hermia) et Hameza El Omari (Tibia et Malvolio) complètent la distribution.

La pièce se passe à Naples, nous dit Musset, dans une rue, chez Claudio, au cimetière... Pour figurer les différents lieux de cette Italie de convention, qui n'est pas sans rappeler une certaine tragédie shakespearienne, le scénographe Roland Fontaine a conçu un décor mouvant : deux murs qui pivotent et transforment successivement l'espace de leurs quatre faces. Si l'idée peut s'avérer ingénieuse et fonctionner pour certaines scènes, l'ensemble est assez imposant et disgracieux. Dommage.

Saluons, par ailleurs, les costumes d'Aurore Popineau. Dans un savant mélange de classicisme et de modernité, ils jouent subtilement des correspondances. Ainsi la robe verte de Marianne, le pantalon assorti d'Octave et le vêtement entièrement noir de Coelio en disent-ils long sur les sentiments des personnages... Un spectacle où éclate tout le génie de Musset !
◙ Isabelle Fauvel

"Les Caprices de Marianne"

© Ludo Leleu.
© Ludo Leleu.
Texte : Alfred de Musset.
Adaptation : Philippe Calvario.
Mise en scène : Philippe Calvario.
Avec : Zoé Adjani, Philippe Calvario, Mikaël Mittelstadt et Pierre Hurel (en alternance), Hameza El Omari, Delphine Rich, Christof Veillon.
Collaboration artistique : Sophie Tellier.
Scénographie : Roland Fontaine.
Costumes : Aurore Popineau.
Création musicale : Christian Kiappe.
Création lumière : Christian Pinaud.
Régie générale : Sébastien Alves.
Dramaturgie : Modestine Pelle.
Production Saudade Compagnie.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 20.

Du 8 janvier au 30 mars 2025.
Du mercredi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h.
Théâtre des Gémeaux Parisiens, Paris 20ᵉ, 01 87 44 61 11.
>> theatredesgemeauxparisiens.com

Isabelle Fauvel
Lundi 27 Janvier 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024