La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le pouvoir est un monstre

"Caligula", la célèbre pièce d’Albert Camus dans une mise en scène de Valérie Fruaut est reprise au Petit Saint Martin pour 30 dates exceptionnelles. Un spectacle beau et profond, très réussi !



Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
Le croisement des trois temporalités d’une œuvre théâtrale est toujours intéressant à souligner : l’auteur écrit une pièce dans les années 1940, traitant d’un sujet qui date du premier siècle de notre ère, et transposée dans les années 2010 par la mise en scène. Si le texte de Camus peut-être considéré comme une pièce maîtresse du théâtre contemporain, c’est notamment parce que ses mots n’ont que faire de ces barrières temporelles et touchent l’humain au plus juste, dans sa nature même. Le pouvoir (son abus et ses conséquences) traverse l’Histoire, traverse l’Homme. « Non, Caligua n’est pas mort. Il est là, et là. Il est en chacun de vous. » nous dit Camus. On ne peut dès lors que se réjouir de voir une troupe "transgénérationnelle" porter haut la puissance camusienne.

À la mort de Drusilla, sa sœur et son amante, et après seulement six mois de règne, le jeune empereur Caligula sombre dans une démence monstrueuse dont tous ses sujets font les frais. Tyran sans limites, Caligula est en quête d’un impossible absolu qui le fait agir avec démesure. La liberté totale que lui confère son pouvoir, il la met au service du meurtre et de la perversion systématique de toute valeur, imposant sa logique destructrice. Il s’agit ici de la version de 1945, celle d’un Caligula à la sauvagerie plus brute que celle qu’a voulu mettre en scène Stéphane Olivié Bisson cette saison à l’Athénée (qui avait repris la toute première version de Camus, voir à ce sujet l'article très intéressant de Pierre Assouline posté sur son blog "La république des livres"). Ici, on est très loin de l'atmosphère d'un palais hanté qu'avait recréé pour l'occasion le scénographe Georges Vafias. Pour décrire ces sphères du pouvoir, la metteuse en scène Valérie Fruaut a imaginé une atmosphère visuelle et sonore tout autre et très particulière... à la fois graphique et inquiétante, dure et fascinante.

Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
La scénographie, moderne mais discrète, donne un côté cinématographique à l’enchaînement des actions : mobilier transparent, accessoires réalistes… La neutralité et la pureté d’un blanc majoritaire sont parfois habilement teintées de couleurs hautement symboliques. La création lumière est d’ailleurs à saluer, car elle est pleine de finesse, de précision et de beauté. Visuellement, seul un petit buste en fond de scène (dans une matière ressemblant à du polystyrène) est plutôt anecdotique. Les costumes jouent la carte efficace d’une sobriété fort à propos : l’élégance froide et très contemporaine de robes ou de costumes cravates noirs bien ajustés. Les choix musicaux, enfin, sont excellents et participent beaucoup à la création de cette ambiance électrique et moderne.

Quant à la troupe, la première chose à admirer est sans doute le fait rarissime d’avoir réuni treize comédiens sur le plateau d’un théâtre privé de jauge moyenne. La deuxième réussite de la Cie Art Maniac est de mêler admirablement deux générations de comédiens. On retiendra surtout la prestation d’Hervé Masquelier dans le rôle de Cherea : dans une sorte d’heureux croisement entre Pierre Santini et Michel Vuillermoz, il assoit sa belle maturité avec un naturel parfait. Pour les aînés également, Benoît Gourley compose un Hélicon très intéressant, profondément humain dans sa servilité malveillante et non dénué d’intelligence. Leur expérience et leur talent à tous deux sont un peu les poutres maîtresses du spectacle.

Quel bonheur aussi de voir que la metteuse en scène a confié le rôle-titre à un comédien ayant l’âge de ce personnage si complexe (moins de trente ans). François-Xavier Boucherak est admirable en Caligula : sa seule présence impose un respect maculé de peur : il laisse tomber comme par inadvertance de ses lèvres les sentences les plus terribles. Sa gestuelle (des mains ainsi que du haut de son corps) traduit à merveille le déraillement mental qui le détruit de l’intérieur. À ses côtés, on retient aussi la présence de Laure Pincemin en Caesonia et de Damien Réty en Scipion, électrons opposés gravitant autour du soleil noir qu’est leur empereur.

Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
Caligula, m.e.s. de Valérie Fruaut © D.R.
Le reste de la distribution n’est pas à blâmer, mais leur interprétation n’est pas exactement sur le même plan, de par leur jeunesse un peu moins assurée et surtout l’importance moindre de leurs partitions. Leur simple présence, pourtant, ajoute beaucoup au spectacle en créant un effet de nombres dans certaines scènes particulièrement réussies, comme celle de débauche ou du banquet. Un seul regret, peut-être : l’ensemble manque paradoxalement de rythme, à cause sans doute de (trop ?) longs noirs entre les scènes, servant au déplacement du décor.

Créé en 2008, ce Caligula en est déjà à sa troisième reprise au Petit Saint Martin, et ce fait seul pourrait témoigner de sa qualité et de l’attrait qu’il suscite chez le public. La Cie Art Maniac a en effet misé sur une communication exceptionnelle : leur affiche et surtout leur bande-annonce sont d’une beauté et d’un professionnalisme qu’on aimerait voir plus souvent dans le théâtre privé : leurs aînés auraient à apprendre d’eux sur ce point ! Ils placent donc bien sûr la barre très haute, mais le spectacle, bien que perfectible sur certains points, est une réussite. Cette actualisation de l’histoire est faite avec du goût et de l’ambition, mais surtout profondément au service du texte.


"Caligula"

(Vu le 16/06/2011)

Texte : Albert Camus.
Mise en scène : Valérie Fruaut.
Avec : Philibert Adamon, Arthur Allard, François-Xavier Boucherak, Quentin Boyer-
Villet, Claire Chauchat, Mary Landret, Lou Maidenberg, Mickael Pernet, Laure Pincemin, Damien Réty et avec la participation de Benoit Gourley et Hervé Masquelier.
Lumières : Charles Lambert.


Du 01 juin au 02 juillet 2011.
Théâtre du Petit Saint Martin, Paris 10e.
Réservations : 01 42 02 32 82.
www.petitsaintmartin.com

Mickaël Duplessis
Lundi 20 Juin 2011


1.Posté par Laurence le 04/04/2015 10:58
Bonjour, j'aimerais savoir si cette représentation à été filmée et si oui, où est-ce que je pourrais la regarder? Merci beaucoup.

2.Posté par Cathia le 28/04/2015 09:49
Bonjour, je pose la même question que Laurence; j'aimerais savoir si cette représentation a été filmée et s'il est possible effectivement de la visionner ou d'acheter un DVD. Un grand merci.

3.Posté par Chauveau le 28/04/2015 13:13
Bonjour,
malheureusement, à notre connaissance, ce spectacle n'a pas fait l'objet d'une captation.
Mais nous restons réceptifs à toute information complémentaire.
Cordialement.
Gil Chauveau
directeur de la rédaction.

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
Spectacle à la Une

"Tout va très bien !" Le Grand Orchestre du Splendid, bon pied bon œil, revient avec de la musique sur tous les fronts

Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

© Aurélie Courteille.
En 1977, quelques amis musiciens professionnels se retrouvent entre eux et décident de s'amuser en réinterprétant des classiques tels que ceux de Ray Ventura ou de Duke Ellington. Ce qui ne devait être qu'un plaisir entre copains devient vite un succès immédiat qui dure depuis presque 50 ans. Mais quel est donc le secret de cette longévité entre rythmes endiablés, joyeuses cadences et show totalement désopilants ?

Ne le leur demandez pas ! Ils ne vous en diront rien… Si tant est qu'ils le sachent eux-mêmes, tant cette énergie semble ancrée en eux depuis toutes ces années, indéfectible, salvatrice et impérissable.

Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
13/11/2024
Spectacle à la Une

"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

© Fabienne Rappeneau.
Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024