La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le bail de Corneille

Valérie Durin (une découverte) présente, au Festival Off d’Avignon, un spectacle piquant et passionnant : "L'Arrangement". Entièrement contemporain, ce dialogue, qui met en scène deux des plus grands dramaturges de la période classique (Corneille et Molière), n’est pas si farfelu. Il révèle au grand jour ce que de nombreux chercheurs affirment depuis plus d’un siècle : Molière ne serait pas l’auteur de la plupart de ses pièces. Du texte à la mise en scène, en passant par le brio de deux superbes comédiens, l’échange est en tout cas rondement bien mené.



"L'Arrangement" © Wencesclas
"L'Arrangement" © Wencesclas
Le lieu d’abord. Choix ou hasard des rencontres avignonnaises, il est particulièrement à propos. Le Théâtre des Amants, ancienne chapelle du XVIIe siècle, fait partie de ces scènes qui n’ouvrent leurs portes que pendant la période du Festival. Certes minuscule (une jauge d’une trentaine de places à peine), il offre néanmoins la possibilité d’aller y voir des spectacles intimistes. Ici, nous nous retrouvons plongés dans l’atmosphère tamisée et chaude de ses pierres historiques. Le voyage dans le temps est assuré. Il permet de nous transporter avec une force déconcertante quelques trois cents ans en arrière. Un bond que nous avons aimé faire…

Magie du théâtre. Corneille (Pascal Gleizes) et Molière (Michel Durantin) réincarnés. On regarde même à deux fois la note d’intention du spectacle. Ah ? L’auteur est contemporain. Ah ? Le texte ne date pas de la période classique. Non que l’on veuille afficher une méconnaissance totale du Grand Siècle, mais on se dit que peut-être il s’agirait d’un écrit retrouvé derrière les fagots… Vraiment, Valérie Durin, c’est bluffant ! L’écriture est précise, le ton respecté et l’on croit volontiers à ces deux personnages qui se "disputent" la vedette…

Pierre Corneille d’un côté. L’auteur "del Cid" et des "Horace" est moins connu pour ses comédies. La tragédie est un genre noble ; la comédie, le divertissement du peuple. Coincé dans un siècle qui n’admettait pas la moindre fantaisie, on peut facilement imaginer Corneille mettre sa plume au service de Molière. Moyen d’expression lucratif et détourné qui lui aurait permis de dénoncer ce qu’il ne pouvait dire dans ses tragédies (on pense à Tartuffe et à Dom Juan par exemple).

Dans ce rôle, Pascal Gleizes empoigne son personnage avec talent et humour. Il fait voir un Corneille à la fois piquant et plein d’esprit. Mais aux abois aussi. Sous la coupe d'un Molière bien plus riche et bien mieux acclamé. La fameuse tirade de L’Avare (« Au voleur !»), par exemple, mise dans sa bouche, amuse, mais étonne aussi, tant le contexte épaissit le propos et le rend encore plus acerbe.

De l’autre, Jean Baptiste Poquelin. Si l’on en croit les recherches effectuées, Corneille lui aurait bâti sa renommée jusqu’au nom même de "Moliere" (d’abord sans accent !). Ce dernier lui aurait aussi donné la possibilité de monter sur Paris et d’obtenir la protection du roi. Ainsi, "l’arrangement", c’est-à-dire le "mariage arrangé" entre deux théâtreux de renom partirait de là : "Discret, sourd, indécelable", dans lequel Corneille "garde la main droite" et "offre la gauche". Interprété par Michel Durantin, on voit sur scène l’investissement progressif de l’acteur dans le personnage de Molière (il s’attife et se maquille devant nous). La métaphore est habile et rend compte d’un auteur construit et fabriqué de toute pièce.

La scène du Théâtre des Amants est exiguë. Soit. Mais la mise en scène de Valérie Durin en tire largement parti. L’un et l’autre se gênent, s’aiment et s’affrontent. Un combat de coq mené avec dextérité et panache par ces deux comédiens.

Enfin, dire que Molière n’est pas (entièrement) l’auteur de ses pièces n’est pas tout à fait nouveau. La rumeur roule chez les universitaires depuis le XIXe siècle. Mais le grand public, n’a jamais pu se résoudre à accepter une telle théorie. Évidemment, La SACEM et autres institutions n’existaient pas et il ne serait pas venu à un auteur de protéger ses œuvres. Son statut étant encore galvaudé et mal défini. En revanche, la révélation finale (sur la participation d’un autre auteur concurrent à Corneille) - et on se gardera bien ici de la dévoiler - est un joli coup de théâtre auquel nous n’avions pas pensé, mais tellement évidente après réflexion.

À l’amour à la mort, les deux dramaturges (comme les deux comédiens) offrent une belle complémentarité : l’un pour son sens du dialogue, l’autre pour son sens de la comédie. La dispute pourra durer encore longtemps. Qu’importe ! Libre à Corneille de dire qu’"il n’y a pas de mariage heureux"…

"L'Arrangement"

"L'Arrangement" © Wencesclas
"L'Arrangement" © Wencesclas
(Vu le 13/07/2011)

Texte : Valérie Durin.
Mise en scène : Valérie Durin.
Avec : Michel Durantin, Pascal Gleizes.
Décor, costumes et affiche : Véronique Durantin.

Du 8 au 31 juillet, Festival Off d’Avignon.
Théâtre des Amants.
Réservations : 04 90 86 10 68.
www.avignonleoff.com

Mardi 26 Juillet 2011


1.Posté par valkyrie 2502 le 28/07/2011 10:26
Pourvu que cette pièce soit montée sur Paris ! J'y courrai ! Même si cette rumeur m'a toujours paru totalement idiote...


Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

Balade équestre dans l'univers singulier de Bartabas… et de Zingaro, un théâtre pour les chevaux

Forte de quarante ans d'observation de la compagnie Zingaro, de ses évolutions et métamorphoses, ainsi que d'une écoute attentive des murmures émanant de la relation entre Bartabas et ses chevaux, Fabienne Pascaud nous offre une exploration aux confins de la création équestre pour découvrir les sources originelles et intimes de son art au cours de douze grands chapitres, chacun scrutant un aspect différent de la pensée créatrice de cet artiste visionnaire.

"Cette créature mi-homme mi-cheval surgit de nulle part et éructant tel un fou sur les pavés de la ville était peut-être un des ultimes avatars d'Antonin Artaud (1896-1948). Bartabas sortait des légendes et des songes. Et nous ramenait au royaume des légendes et des songes."

C'est en 1978, lors de son premier Festival d'Avignon, que Fabienne Pascaud découvre Bartabas. Pour ce dernier, c'est l'époque "Cirque Aligre", après le Théâtre Emporté et avant Zingaro. Surnommé Bartabas le Furieux, il véhicule déjà une certaine folie, à la fois créatrice et unique, et une grande curiosité. Sa créativité va très vite puiser son inspiration dans la richesse de l'ailleurs, dans les différents aspects du monde…

Et ses spectacles, au fil des années, deviennent des fééries troublantes, voire envoûtantes. C'est ce personnage original et inventif que Fabienne Pascaud nous raconte, nous donnant quelques clés pour mieux comprendre, mieux approcher les métamorphoses de la compagnie Zingaro et révéler ainsi le langage, les pensées fondatrices qui, dans l'imaginaire de Bartabas, écrivent les chorégraphies équines et les univers artistiques qui s'en dégagent.

Gil Chauveau
17/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024