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Lyrique

Le Wanderer au Festival de Royaumont

En 2015, la Saison musicale de Royaumont a évolué pour devenir un Festival de musique et de danse en deux actes, et un entracte entre juin et octobre. L'acte 2 du festival axé sur la présentation d'œuvres revisitées du répertoire accueillait pour la première fois le grand ténor Christoph Prégardien pour le chant du cygne de Franz Schubert, le sublime "Voyage d'hiver" de 1827. Mais d'autres rendez-vous nous attendent encore.



Christoph Prégardien et Daniel Heide au piano © DR.
Christoph Prégardien et Daniel Heide au piano © DR.
Après l'ouverture de nouveaux espaces pour la commémoration des cinquante ans de Royaumont en 2014, la Fondation a fait évoluer cette année ses rendez-vous avec le public en créant un festival de musique et de danse en deux actes de juin à octobre (1). Une saison culturelle complète, valorisant le très beau patrimoine que représente l'abbaye de Royaumont et ses trois jardins, développe ses actions en faveur de la création artistique musicale et chorégraphique.

L'acte 1 du festival en juin a été orienté dans la présentation d'œuvres nouvelles et l'acte 2 en octobre a revisité le répertoire ; et, ce, en programmant des artistes légendaires tel le ténor Christoph Prégardien et de jeunes talents comme l'ensemble Graindelavoix (dirigé par Björn Schmelzer), nouvellement en résidence à Royaumont au Centre international pour les artistes - entre nombreux autres.

Pour cette avant-dernière de l'acte 2, le 10 octobre, une journée intitulée "Les Larmes de l'âme" proposait trois rendez-vous avec des madrigaux italiens du XVIe siècle, des motets "pour un temps de désolation - O Traurigkeit !" de Schütz à Bach avec l'ensemble Pygmalion et, au mitan de l'après-midi, un récital exceptionnel du ténor allemand déjà évoqué, Wanderer (2) renommé, accompagné pour un "Voyage d'hiver" sensible et puissant par le pianiste Daniel Heide.

Christoph Prégardien © DR.
Christoph Prégardien © DR.
La splendeur désolée et bouleversante du dernier cycle de lieder de Schubert, composé quelques mois avant sa mort à l'âge de trente et un ans, se déploie sur vingt-quatre chants empruntés au recueil "Chants d'errance" du poète Wilhelm Müller, au moment où le compositeur traverse une crise sans précédent. Ce "Winterreise" ténébreux, déchirant et introspectif, constitue donc un sommet de la musique romantique et une évidence pour le ténor lyrique qui l'a enregistré deux fois au disque (3).

Avec ses images symboliques, une nature indifférente ou hostile avec sa neige, son vent glacial, ses corbeaux et ses paysages déserts métaphorisant les souffrances d'un homme trahi par sa bien-aimée, le cycle constitue un voyage au bout de soi pour le chanteur comme pour l'auditeur. Célèbre pour sa riche expressivité, Christoph Prégardien nous entraîne dans les abîmes du cœur dès le premier chant, "Gute Nacht", avec une musicalité, une science du phrasé, un art du coloris extraordinaires et un sens de l'articulation éprouvé au long des années par une intime fréquentation de l'œuvre.

Jusqu'au terme de ce voyage se terminant peut-être par la mort et sûrement par la folie, Christoph Prégardien incarne noblement ce voyageur errant tour à tour révolté et résigné traversant toutes les stations d'un calvaire éprouvant jusqu'à ce point où se renonce une vie ("Der Leiermann"). Un cœur en hiver lentement pris dans la glace de la solitude. Malgré la sonorité un peu grave du piano demi-queue de son accompagnateur, ce récital est assurément un des grands moments de cette édition 2015 - et le silence qui l'a suivi si impressionnant qu'on l'aurait souhaité sans aucun applaudissement. Christoph Prégardien reviendra en mars 2016 à Royaumont pour diriger un atelier d'excellence sur les lieder de Franz Schubert.

Notes :
(1) Le site se visite toute l'année et de nombreuses activités y sont proposées.
(2) Ou Voyageur errant, nom du protagoniste du cycle.
(3) "Winterreise", deux gravures au CD avec Andreas Staier et Michael Gees au piano.

Christoph Prégardien et Daniel Heide au piano © DR.
Christoph Prégardien et Daniel Heide au piano © DR.
Visite-concert le 22 novembre 2015 à 15 h 30.
César Franck.
Thomas Kientz, orgue.
Amy Pfrimmer, Magda Lukovic, sopranos.

Auditions du travail en cours pour les résidences et formations :
5 novembre 2015 à 18 h.
De la partition à l'incarnation : Wagner, Mahler, Strauss.
Waltraud Meier, mezzo-soprano.
Vincent Huguet, mise en scène.

15 novembre 2015 à 17 h.
Scarlatti, clavecin et piano-forte.
Pierre Hantaï, clavecin.
Aline Zylberajch, piano-forte.

Olivier Fourès, musicologue et danseur.

20 décembre 2015 à 17 h.
Prototype III, citation, paradigme à la construction chorégraphique.
Hervé Robbe, chorégraphe.

Abbaye de Royaumont.
95270 Asnières sur Oise.
Tél. : 01 34 68 05 50.
>> royaumont.com

Christine Ducq
Samedi 24 Octobre 2015

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À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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Brigitte Corrigou
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

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Brigitte Corrigou
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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

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Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023