La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Le Triomphe de l'Amour et de la Paix aux Invalides

Pour la commémoration de la fondation des Invalides par Louis XIV un beau programme dédié entièrement à Lully, surintendant de la musique du Roi-Soleil, a mis en lumière le talent éclatant de la soprano Amel Brahim-Djelloul accompagnée par l'ensemble Les Paladins dirigé par Jérôme Corréas. Deux autres concerts suivront pour fêter particulièrement les 350 années de la noble institution.



© DR.
© DR.
On connaît le génie de Jean-Baptiste Lully, fondateur de l'opéra français, florentin qui sut s'imposer à la cour du Roi-Soleil et inventer un nouveau genre opératique, la tragédie lyrique. Nommé compositeur officier un mois après avoir dansé aux côtés du roi dans "Le ballet de la Nuit" célébrant la défaite de la Fronde le 23 février 1653, il devient surintendant de la musique royale en 1672. Il régnera en maître absolu sur la scène musicale du Grand Siècle jusqu'à sa mort en 1687. Fixant pour longtemps le genre de la tragédie lyrique à machines avec un prologue et cinq actes, sa collaboration avec le poète Philippe Quinault comme librettiste donnera naissance à de nombreux chefs-d'œuvre.

Pour ce concert, Jérôme Corréas a choisi des extraits de tragédies de Lully à sujets mythologiques ou aux livrets inspirés de grands romans de chevalerie célébrant l'amour avec ses joies, ses déchirements et ses tourments, mais aussi "L'Idylle pour la Paix" composée en 1685 pour fêter la paix de Ratisbonne sur un poème de Jean Racine. Créée à l'Orangerie du château de Sceaux devant le roi, cette idylle ouvre le concert avec son ouverture au (grand) style reconnaissable entre tous, celui de Lully, au ton fait de majesté et d'élévation.

L'ensemble Les Paladins, formé de cordes et d'un musicien passant de l'archiluth au luth, dirigé du clavecin par Jérôme Corréas, l'interprète avec une générosité qui fait oublier la dimension un peu réduite de la formation dans la grande cathédrale des Invalides à l'acoustique un peu froide. La finesse de leur discours sert par ailleurs admirablement la voix des chanteurs pour les duos galants comme pour les scènes de lamentations ou de véhémence. La musique de Lully y gagne en sensibilité, le sens du texte étant aussi exprimé par l'accompagnement orchestral - certains airs bénéficiant d'une simple basse continue à la façon des airs de cour.

© DR.
© DR.
Cette ouverture est suivie d'un duo ("Idylle sur la Paix") d'un berger et d'une bergère chantant les vertus du monarque bienfaiteur, dans lequel brille immédiatement le talent de la soprano, accompagnée par le haute-contre léger de Jean-François Lombard, lequel gagnera en assurance tout au long de la soirée. Dans leurs duos extraits des opéras tels que "Armide", "Atys", "Phaéton", "Amadis" ou encore "Le Triomphe de l'Amour", un ballet créé à Saint-Germain-en-Laye en 1681 devant le roi, Amel Brahim-Djelloul enchante par sa capacité à incarner ses rôles sans oublier le théâtre. Elle domine avec maestria la technique de la déclamation lyrique avec une précision qui honore les règles de la prosodie.

Un art difficile rappelle Jérôme Corréas au public, entre deux airs, puisque les partitions de l'époque ne portent aucune indication ni d'ornement ni de dynamique ni de tempo. C'est donc l'interprétation des chanteurs qui se révèle décisive. Amel Brahim-Djelloul, maîtresse de cet art difficile consistant à modeler le chant sur la parole, est décidément une artiste qu'il est délectable de suivre à chacun de ses concerts. Son compagnon de scène, Jean-François Lombard nous offre lui aussi une ligne pure et un phrasé noble, se montrant rapidement lui aussi capable des plus beaux raffinements à l'instar de la chanteuse.

Deux autres concerts suivront pour commémorer l'anniversaire de la fondation des Invalides, une institution qui tenait alors pour les vieux soldats du Roi-Soleil de l'hôpital, de l'hospice, du monastère et de la caserne. Le 10 mars 2020 le "Te Deum" de Marc-Antoine Charpentier sera donné par le Concert Spirituel dirigé par Hervé Niquet. Le 16 mars Didier Sandre, de la Comédie-Française, lira un florilège de textes historiques de Louis XIV et de Napoléon, ainsi que de grands auteurs des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Il sera accompagné par Julien Chauvin et les solistes du Concert de la Loge, ainsi que par Olivier Baumont au clavecin. Ces derniers offriront des extraits d'œuvres de Lully, Couperin, Marais ou encore Grétry, entre autres.

Toute la programmation >> saisonmusicale.musee-armee.fr

Musée des Armées Invalides,
Place des Invalides, Paris 7e.
Tél. : 01 44 42 54 66.

Christine Ducq
Mardi 10 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024