La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Le Retour" par Luc Bondy... Un monde de peu d’épaisseur : trop caricatural… ou pire, pas assez crédible

"Le Retour", Théâtre de l'Odéon, Paris, puis en tournée

Dans "Le Retour" de Harold Pinter, le thème traditionnel quasi biblique du retour de l’enfant prodigue est transposé par l’auteur de manière ironique et ambiguë qui, il y a cinquante ans, passait pour scandaleuse. Teddy (Jérôme Kircher), fortune faite, appartenant à l’upper middle class, universitaire et accompagné de son épouse Ruth( Emmanuelle Seigner), revient au pays natal, dans sa famille. Il est le fils d’un boucher retraité (Bruno Ganz) : d’une Angleterre prolétarisée et abandonnée.



© Ruth Walz.
© Ruth Walz.
Il retrouve le père, ses frères (Louis Garrel, Micha Lescot) et son oncle (Pascal Gregory). La mère a disparu. Les hommes cohabitent contraints et dépendants... Le foyer va à vau l’eau et appelle d’urgence une présence féminine multifonctionnelle…

À l’occasion de ce retour les vernis craquent. Le fils repart très vite, laissant sa femme en gage. Celle-ci partage les fantasmes de ce monde clos, assume le choix de devenir la nouvelle puissance nourricière de cette maison en perdition, abandonne ses propres enfants et va tapiner. Nouvelle variation de la maman et la putain. Énigme d’une fatalité, d’une liberté contrainte.

Dans cette pièce écrite, il est question du point de vue polémique de l’état supposé naturel des femmes et de la loi des mâles. Et du regard critique passablement ambigu que porte sur ce sujet l’auteur.

© Ruth Walz.
© Ruth Walz.
La distribution des personnages dans la pièce est forte et s’articule autour du rôle charpente du père qui cannibalise depuis toujours littéralement son entourage. En dépit de sa senescence (ou peut-être à cause d’elle), sa tyrannie, son emprise sur sa parentèle reste totale et encourage une ruine physique et psychique collective. Une folie proliférante et insidieuse dont Bruno Ganz en dépit de son talent n’a pas encore exploré tous les détours.

Les seconds rôles brillent des talents de leurs comédiens. Ceux-ci ont manifestement plaisir à marquer les désœuvrements et les oisivetés de ces hommes qui vivent à la petite semaine. Entre turf, taxi, boxe et petit proxénétisme, cigare et musculation pointent pour chacun dans son tempérament, la colère, le dénigrement, l’abattement, la pulsion et le fantasme. La souffrance intime est ainsi frappée au coin du pittoresque. Le théâtre est là dans ses effets.

Quant au rôle féminin de Ruth, il est réduit à la portion congrue. Brut de présentation en tailleur ou jupe de cuir, il est celui d’un fantôme ou bien d’une femme de chair. Trouvant sa place, Emmanuelle Seigner réussit à imposer une présence lumineuse. Au spectateur de la définir.

Ce théâtre hésite sur la conduite à tenir face au scandale de son contenu et dans une forme plutôt sage présente un monde de peu d’épaisseur : trop caricatural… ou pire, pas assez crédible.

"Le Retour"

© Ruth Walz.
© Ruth Walz.
Texte : Harold Pinter.
Mise en scène : Luc Bondy.
Traduction : Philippe Djian.
Conseiller dramaturgique : Botho Strauss.
Avec : Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot, Emmanuelle Seigner.
Décor : Johannes Schütz.
Costumes : Eva Dessecker.
Lumière : Dominique Bruguière.
Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar.
Durée : 2 h 20.

Du 18 octobre au 23 décembre 2012.
Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h.
Théâtre de l'Odéon, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Tournée
14 et 15 janvier 2013 : Grand Théâtre, Grande Salle, Luxembourg.
23 au 25 janvier 2013 : Schauspielhaus, Zürich (Suisse).
31 janvier au 2 février 2013 : Théâtre National, Toulouse (31)
6 au 10 mars 2013 : Théâtre National, Nice (06).
18 au 27 mars 2013 : Théâtre National de Bretagne, Rennes (35).
4 au 6 avril 2013 : MC2, Grenoble (38).
8 au 12 mai 2013 : Piccolo Teatro di Milano/Teatro d’Europa, Milan (Italie).
18 au 24 mai 2013 : Wiener Festwochen, Vienne (Autriche).

Jean Grapin
Mercredi 7 Novembre 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024