La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le Louët ou l’apologie d’une mise en scène "monstre"

"Richard III", Théâtre de Chartres, Théâtre Jacques Cœur de Lattes

Enfin Jérémie Le Louët applaudi à sa juste valeur. Enfin !
Nous l’avions suffisamment déploré lors de sa précédente création ("Salomé", d’Oscar Wilde), pourtant superbe. Il revient cette saison avec un "Richard III" de Shakespeare dont il se risque à reprendre entièrement la traduction et à effectuer les coupes historiques. Osé, certes, mais… réussi !
Aujourd’hui à Châtillon ; hier au Théâtre 13 ; demain en tournée.
À quand sur une grande scène nationale ?



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Pourquoi aller applaudir ce Richard III ? Déjà, parce qu’avoir retrouvé récemment son cadavre sous un parking en fait un sujet d’actualité (cela ne pouvait pas mieux tomber !). Ensuite, parce que la version qu’en donne Jérémie Le Louët est peut-être la plus proche de cette pièce historique de Shakespeare. Totalement amoral, Richard est prêt à tout pour arriver au trône. Il nous dresse le portrait d’un tyran sanguinaire, en ce sens plus proche d’un Heiner Müller dans son absence de dichotomie entre bien et mal. La force de son personnage est donc là. Tant dans la façon dont Le Louët interprète le rôle-titre que dans ses partis pris de mis en scène.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Il met en avant les failles psychiques de son personnage plutôt que ses difformités. Ainsi, de façon subtile, la claudication apparente de Richard se déplace. Elle devient mentale. Cela déroute. Y compris sa diction. C’est ce qui fait d’ailleurs la particularité de Le Louët, une bonne décennie de travail et de recherche pour un phrasé qui tord le cou et dépoussière le rythme parfois redondant et ronflant du débit classique.

Des mots soufflés, des mots expirés, parfois chuchotés ou susurrés. Pour des mots noirs et sanguinaires. Incarnation du mal absolu, au suprême degré, mais des mots incandescents, inconsistants aussi, dans la bouche d’un roi dont la "conscience a mille langues". Ils se répandent donc, ces mots, sur une fumée rouge, verte ou noire. Aussi évanescents que sa conscience. Voici "un homme qui a employé tous les moyens pour arriver au trône et qui a massacré tous ces moyens".

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
La mise en lumière de Thomas Chrétien est à l’image de ce "monstre". L’éclairage unique (Comme dans le Horla ou les "petites formes" du metteur en scène, il se sert d’une lampe portative pour mettre en avant la folie du personnage) et le choix limité de couleurs (le rouge et le noir, ne sont pas sans rappeler Salomé), n’ont rien de très surprenant qui connaît les mises en scène de Le Louët. En revanche, la nouveauté est dans la manière dont on a saturé ici les contrastes. La scène est plongée dans la pénombre ou éclaboussée d’une vive lumière, dont les spectateurs font les frais. Ce jeu détonne et permet d’épaissir un peu plus la noirceur et la monstruosité du personnage.

Il en est de même pour la scénographie de Blandine Vieillot, simple (en apparence), mais efficace. Deux hautes structures métalliques, amovibles et détachables dominent la scène. Elles rehaussent le personnage et sa folie du pouvoir. Et ses lignes géométriques ne font que surligner un peu plus le mal dans lequel est plongé le roi Richard.

Quant aux autres comédiens, loin d’être dans l’ombre d’un Le Louët, ils ont tous leurs moments d’éclat, bien qu’ils se débattent comme des pantins dans les griffes du protagoniste. Avec son micro, des comédiens en permanence sur scène, cette pièce est aussi jouée comme une comédie de pouvoir ("une simulation magistrale"), dont le jeu est souvent dévoyé. N’est-ce pas le roi qui demande à Lady Anne (superbement jouée par Noémie Guedj) : "Pourquoi cette scène d'exaltation ? Pour faire un acte de tragédie, répond-elle". Réplique qui donne donc la mesure de cette mise en abyme permanente.

Voici encore une belle leçon de théâtre offerte par ce brillant metteur en scène et sa troupe. Nous avons déjà hâte de les retrouver la saison prochaine avec leur nouvelle création au Théâtre de Châtillon, Affreux, bêtes et pédants, née d’un projet d’écriture collective.

"Richard III"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
De Shakespeare.
Mise en scène et adaptation : Jérémie Le Louët.
Scénographie : Blandine Vieillot.
Lumière : Thomas Chrétien.
Son : Simon Denis.
Costumes : Minaly.
Avec : Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Noémie Guedj, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat, Stéphane Mercoyrol.
Compagnie des Dramaticules.
Durée : 2 h 20.

Création du 13 novembre au 23 décembre 2012 au Théâtre 13 / Seine à Paris.
22 et 23 février au Théâtre de Châtillon.
12 mars 2013 : Théâtre, Chartres (28).
21 mars 2013 : Théâtre Jacques Cœur, Lattes (34).

>> dramaticules.fr

Mardi 5 Mars 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024