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Cirque & Rue

"Le Bruit" Oyez la fabuleuse histoire de la grande famille du cirque !

Un chapiteau dressé sur un espace non construit de la rive droite de La Garonne, ses caravanes habitées par les saltimbanques et leur famille en sa périphérie, et, par cette soirée fraîche de fin février, son feu de camp réchauffant les spectateurs attirés par "le bruit" colporté jusqu'à leurs oreilles par le vent complice… Réveillés d'emblée par ce décorum circassien échappé d'un rêve ancien, les souvenirs des cirques d'antan refont surface bien avant que la "représentation" ne débute…



© Sergio Di Photo.
© Sergio Di Photo.
Plus vrai que vrai, ce cirque contemporain, nourri par des valeurs humaines et écologiques des plus réfléchies, s'est donné comme mantra de réenchanter l'esprit de troupe. En osmose avec son public en quête de partage authentique, tous les artistes (acteurs, voltigeurs, clowns, musiciens), techniciens et autres responsables de la logistique ont fait vœu commun de partager la vie nomade d'un cirque – le leur – sillonnant des territoires non valorisés au rythme de temps longs, chaque escale pouvant durer une quinzaine de jours, voire plus.

Extérieur nuit… Invités la nuit tombée par une Pythie contemporaine aux pieds de laquelle se presse la foule attentive, les spectateurs recueillent ses paroles aux accents étranges. Les langues s'y mêlent (espagnol, français), la poésie fait corps avec la prose pour dire le monde des animaux et des hommes à jamais confondus dans la même cosmologie ancestrale. Et lorsque la Pythie désigne du doigt, juché sur une tourelle à quelques mètres d'elle, un funambule à la tête auréolée d'un soleil de plumes de paon qui s'apprête à traverser dans les airs l'espace le séparant du sommet du chapiteau, la magie devient palpable. S'élançant sur le filin d'acier, il semble flotter entre ciel et terre… avant qu'un homme à peau d'animal dévale le toit de toile pour indiquer à chacun l'entrée de la caverne fabuleuse. Là, entre ombres et lumières stéréoscopiques, une fête, colorée et bruyante à souhait, s'annonce…

© Sergio Di Photo.
© Sergio Di Photo.
Intérieur du chapiteau éclairé… Alors que chacun est encore occupé à trouver place dans les gradins de bois, dans un concert de bruits orchestrés avec maestria, la contrebasse, la clarinette, la batterie, la basse composent un paysage sonore immergeant dans l'univers d'un cirque-monde enivré de fantaisie, de poésie et de liberté… Un personnage clownesque – celui de la (fausse) voisine venue protester véhémentement des nuisances du "Bruit" – crée d'emblée le buzz en voulant interrompre les premières notes de la fête. Gagnée par l'excitation jubilatoire régnant sur la piste, Pierrot féminin affublé d'un casque moto et d'une collerette, elle se fondra dans la liesse circassienne où s'enchaineront les numéros propres à l'univers du cirque… réinterprétés avec une gourmandise "animale".

Une trapéziste de haut vol, "de mèche" avec une belette filant avec elle le parfait amour hybride, tourbillonnera dans l'espace, suspendue par les cheveux dans un numéro capillotracté à décrocher le cuir chevelu. Un fil-de-fériste, affranchi des lois de la pesanteur terrestre, dansera allègrement sur sa ligne de crête en refusant catégoriquement de remettre un pied sur terre, cette Terre si peu désirable. Tout un bestiaire fellinien prendra possession de la piste. Un homme oiseau sur son perchoir s'élèvera dans les airs avant de fondre au sol. Un stupéfiant homme-cheval s'ébrouera tout en claquant des sabots autour de la piste, gravira les gradins et – foin des convenances – broutera avec appétit la chevelure généreuse d'une spectatrice avant d'aller saluer la foule, un genou à terre.

Quant au personnage du directeur du cirque, coléreux à l'envi jusqu'à être contraint de trouver refuge dans sa caravane, il apportera une autre touche clownesque mettant en perspective le projet des enfants de la balle. En effet, dans ses rapports (faussement) conflictuels avec la comédienne phare, il tient le rôle du comptable, plus intéressé par la rentabilité de sa petite entreprise que par la créativité artistique. Allant jusqu'à citer en exemple la monstrueuse machine à fric et entreprise d'embrigadement réactionnaire qu'est "Le Puy du Fou", il délivre en creux les vertus présentes incarnées par cette troupe férue de créativité libertaire. D'ailleurs, il se retrouvera à moitié nu, errant parmi les ombres, passage d'un monde à un autre et prémices d'une mue salutaire annoncée.

Et comme dans toute chose la fin est contenue, la chute verra se regrouper – autour d'un feu surplombé par une terre "bleue comme une orange" (Paul Éluard) – les protagonistes irradiant leur énergie ô combien communicative. "Le bruit", ce soir, a fait taire les silences contraints pour donner "droit de cité" aux bruits créatifs du vivant. Exit le rythme trépident d'une société consumériste où le temps accéléré régit l'activité des hommes, fût-elle artistique, gangrenée qu'elle est par la recherche d'une productivité à tous crins.

© Sergio Di Photo.
© Sergio Di Photo.
Aux antipodes des diktats mortifères, du "Silence, on vous ordonne de vous taire !" opposé à toutes les minorités dérangeant l'ordre établi, dans ce lieu à l'écart des vicissitudes du monde dit moderne, ce petit cirque à hautes valeurs artistiques et humaines recrée le paradis perdu des "Saltimbanques" chantés naguère par le poète Guillaume Apollinaire…

Embarqués toutes et tous dans la même aventure joyeuse de "décroissance raisonnée", petits et grands partagent une expérience sensorielle unique, célébrant le temps de vivre, le respect du vivant, qu'il soit végétal, animal ou humain. Comme une parenthèse enchantée dans un monde qui devient fou.

Vu le jeudi 29 février sous le chapiteau dressé 86, quai des Queyries à Bordeaux.

"Le Bruit"

© Sergio Di Photo.
© Sergio Di Photo.
Création 2024 par le Collectif Le Bruit.
Spectacle de cirque et musique live sous chapiteau
Avec (dans le désordre) : Pierre Naos (comédien, monteur de chapiteau), Manuelle Boulze (musicienne), Juliette Frenillot (trapéziste washington, équilibriste), Tom Bailleux (musicien), Florian Denis (clown, artiste de rue, cascadeur), Émilie Marin-Thibault (trapéziste, danseuse, clown), Nicolas Trouillet (musicien), Hegoa Garay (comédienne, artiste de rue), Maël Commard (fil-de-fériste), Rayan Razafindrakoto (musicienne), Malvina Schnebelin (régisseuse lumière), Erwan Suhard (régisseur), Philine Dahimann et Louise Tardif (regards extérieurs).
Régie : Erwan Suhard et Ugo Albiero.
Regard extérieur : Philine Dahlmann, Soizic Kaltex, Louise Tardif.
Création costumes : Maïlis Martinsse et Laure Vingiguerra.
Production et diffusion : Cirque des Petites Natures.
Spectacle tout public conseillé à partir de 5 ans.
Durée : 1 h 30.

© Sergio Di Photo.
© Sergio Di Photo.
Du 16 février au 10 mars 2024.
Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20 h, dimanche à 17 h.
Sous chapiteau chauffé, Aire Rafael Padilla, 86, Quai des Queyries, Bordeaux.
Réservations : 07 53 78 98 37.
lebruit.billetterie@gmail.com
>> cirquepetitesnatures.fr

Yves Kafka
Jeudi 7 Mars 2024

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•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
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•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
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•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024