La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

La pièce sismique de Strindberg mitonnée avec un humour à glacer le sang

"La Danse de mort", Théâtre La Reine Blanche, Paris

C'est certainement la pièce la plus noire de l'auteur suédois qui tient bien les promesses de son titre. Une danse, entre un homme et une femme, un couple, qui passent sa vie depuis vingt-cinq ans à se haïr. Une vie entière faite de mépris, rancune, cruauté. On assiste comme à l'envers du décor convenu du bonheur conjugal. Ici, les époux s'entredéchirent savamment, patiemment avec gourmandise.



© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Mais au-delà de l'action même de la pièce, ce sont différentes thématiques qui résonnent ici plus haut, plus élevé que le simple délabrement d'un mariage tourné vers le morbide. Les questions de vie, d'enfer, de paradis post mortem, de cette seconde existence que les religions promettent à grands coups d'agenouillements. Les questions d'honneur, de devoir, de pouvoir, de compromis traversent également toutes les scènes de cette danse qui fascine par la justesse de ses vues.

On devine où Sartre a découvert sa devise : "l'Enfer c'est les autres". On pense aussi au film de Pierre Granier-Deferre : "Le Chat". On savoure surtout ces incroyables échanges jamais anodins, toujours chargé d'intention forte, de sous-textes et surtout d'un humour passionnément méchant.

L'humour, voilà ce que Stuart Seide a bonifié dans sa mise en scène : un humour vachard mais élégant, d'autant plus cinglant qu'il reste dans les normes d'une société qui se veut exemplaire. Car toute l'action se déroule dans une garnison du bout du monde où la bonne société se résume à peu de choses, quelques spécimens garant de la civilisation. Une société présentée ici en décrépitude, mais qui tente de sauvegarder quelques apparences, quelques privilèges.

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Une mise en scène sobre. Un lieu unique, un peu carcéral, monacal, hermétique et gris. C'est le cul-de-sac où le cousin de l'épouse (ancienne comédienne à la carrière stoppée par le mariage) va venir s'engluer. Une victime parfaite pour ce couple dont les enfants sont loin. Un plat que ces deux mantes religieuses vont se plaire à dépecer tranquillement, puis en dévorer l'âme à coups de mensonges, de chantages affectifs, de menaces, de promesse, brefs de corruptions en tous genres.

"La danse"… elle est aussi sur les lèvres des spectateurs qui passent des sourires aux rires, des rires aux ébahissements, de la bouche bée aux dents qui grincent un peu. La plume de Strindberg est vive, les répliques et les scènes sont comme des coups de vent, et les trois interprètes principaux jubilent, cela se sent, à s'écorcher du verbe et se bombarder de perfidie. Ils sont très admirables dans cette performance d'où texte et sens sortent gagnants.

No futur, telle pourrait être la devise qui colle à cette pièce. Un No futur qui oblige à jouir du moment présent quel qu'il soit.

"La Danse de mort"

© Pascal Gély.
© Pascal Gély.
Texte : August Strindberg.
Traduction : Terje Sinding.
Mise en scène : Stuart Seide.
Assistante mise en scène : Karin Palmieri.
Avec : Jean Alibert, Pierre Baux, Karin Palmieri, Helene Theunissen.
Scénographie : Angeline Croissant.
Lumière : Jean-Pascal Pracht.
Son : Marc Bretonniére.
Costumes : Sophie Schaal.
Coiffures et maquillages : Catherine Nicolas.
Régie générale/Peintre décorateur/Accessoires : Ladislas Rouge.
Compagnie C/T Stuart Seide.
Durée : 1 h 40.

Du 27 septembre au 29 octobre 2017.
Du mercredi au samedi à 20 h 45, dimanche à 15 h 30.
Théâtre La Reine Blanche, Grande Salle, Paris 18e, 01 40 05 06 96.
>> reineblanche.com

Bruno Fougniès
Jeudi 12 Octobre 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024