La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

La "Résurrection" ou les souffrances du jeune Mahler à la Philharmonie

Pour clore sa saison parisienne, Daniel Harding, le nouveau directeur musical de l'Orchestre de Paris, a programmé pour deux concerts, les 24 et 25 mai, la deuxième symphonie de Gustav Mahler, dite "Résurrection". Mobilisant un effectif énorme et le chœur maison, le chef-d'œuvre du compositeur allemand a trouvé les interprètes transcendants qu'il mérite.



© DR.
© DR.
Essentiellement composée entre 1892 et 1894, mais avec des emprunts à son œuvre dès 1888, Gustav Mahler poursuit avec sa deuxième symphonie sa quête de révolution musicale dans une "ère nouvelle", celle qu'a ouverte le génie beethovénien. Après la "Titan", la "Résurrection" pose les bases d'une trilogie qui définira la symphonie de l'avenir. Celle qui doit exprimer "les conflits intérieurs, la nature qui nous entoure et l'effet qu'elle a sur nous, l'humour et les idées poétiques" (1).

Après quasiment cinq ans de luttes, Mahler ébauche à l'été 1893 les deuxième et troisième mouvements, réécrit sa "Totenfeier" (Marche funèbre) pour une symphonie-monde qui en comportera cinq. Il pense avoir réussi enfin à exister après le climax beethovénien et sa Neuvième symphonie. Mahler envisage donc un effectif orchestral inédit alors (avec sept percussions, un orgue et tous les pupitres renforcés), le recours à la voix de deux solistes (alto et soprano) et un chœur. Dans les salles modernes de concerts, le compositeur sait qu'"il (lui) faut faire un grand bruit" (2).

© DR.
© DR.
Il utilisera ainsi certains de ses lieder des "Knaben Wunderhorn" dont les saisissants "Urlicht" et "Fischpredigt", en attendant de découvrir un poème de Friedrich Klopstock en 1894 "Auferstehung" (Résurrection) qui sera utilisé dans l'impressionnant final de la symphonie d'une durée inédite (entre 1 h 10 et 1 h 20).

La version qu'a livrée cette semaine l'Orchestre de Paris et son chœur dirigés par un Daniel Harding vif-argent fera date. Le chef anglais colore chaque épisode de cette fresque grandiose et déchirante avec une intelligence rare et un sens dramatique qui engage l'être entier (musiciens et auditeurs) minute après minute. La quête existentielle du compositeur se dessine en coupes claires avec des entrées mordantes pour le premier mouvement et son avertissement solennel. Un silence d'une minute dans le noir (demandée par Mahler) renvoie l'auditeur aux ténèbres de sa conscience.

Du tableau joyeux de la vie facile aux accents caressants - le deuxième mouvement Andante moderato - aux sarcasmes du troisième, puis l'explosion désespérée du quatrième se dissolvant dans les réminiscences de la Bohême natale de Mahler, l'orchestre reconstruit magnifiquement ce monument édifié au génie musical de son auteur (3). Et c'est passionnant. Quand l'entrée de l'alto Wiebke Lehmkuhl retouche de lumière originelle ("Urlicht") ce sombre tableau, le moment est tout simplement sublime (tel le "O Mensch" de la Troisième symphonie) comme l'entrée pianissimo du chœur dans le Finale - un cinquième mouvement magistral.

© DR.
© DR.
Fanfares, apocalypse, appel divin (et son deuxième orchestre derrière la scène), certitude d'une "Résurrection" qu'assure la création, cet "acte essentiellement mystique" pour Mahler qui commente au-dessus de Klopstock "Je mourrai pour vivre !". Le chœur, doté d'une cohésion remarquable avec ses entrées toutes saisissantes, se lève pour un tutti orchestral et vocal final à couper le souffle.

(1) Lettre à Gisela Tolney-Witt.
(2) Lettre à une amie.
(3) "Mes deux symphonies expriment ma vie toute entière. J'y ai versé tout ce que j'ai vécu et souffert, elles sont vérité et poésie devenues musique." (ib.)


Concert entendu le 24 mai 2017.

À réécouter sur le site de la Philharmonie :
>> philharmoniedeparis.fr

Symphonie n°2 "Résurrection" en ut mineur pour soprano, alto, chœur et orchestre (1895).
De Gustav Mahler (1860 - 1911).

Daniel Harding, direction.
Christiane Karg, soprano.
Wiebke Lehmkuhl, alto.
Chœur de l'Orchestre de Paris.
Lionel Sow, chef de chœur.
Orchestre de Paris.
Roland Daugareil, violon solo. Concert entendu le 24 mai 2017.

Christine Ducq
Lundi 29 Mai 2017

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024