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Concerts

L'Enchantement du Vendredi des adieux du Maestro Philippe Jordan

Des flots d'amour, d'admiration, de complicité et d'émotion entre le directeur musical Philippe Jordan, son orchestre et son public, vendredi dernier à Bastille, lors d'un superbe concert d'adieu. À réécouter à la demande sur le site de France Musique.



© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Flots d'émotions pour une soirée de très haut niveau vendredi dernier à l'Opéra de Paris à l'occasion des adieux de Philippe Jordan à l'orchestre, les chœurs et le public de l'Opéra de Paris après douze ans d'un mandat d'une exceptionnelle densité.

Avec plus de quarante opéras dirigés, sans oublier les très nombreux concerts symphoniques donnés et les non moins nombreux enregistrements réalisés, le règne du chef suisse engagé à l'âge de trente-cinq ans en 2009 par le directeur de l'époque, Nicolas Joël, a permis d'enrichir indéniablement l'identité des formations et artistes de la maison. On le sait, "la valeur n'attend point le nombre des années" ; le jeune chef né à Zürich a apporté (outre l'opéra français) des œuvres nouvelles ("Moïse et Aaron" de Schönberg par exemple, un spectacle inoubliable) - ou encore tout Wagner dont une ultime tétralogie (la deuxième en douze ans, il me semble) hélas réservée à la radio en décembre 2020.

© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Le registre symphonique fut également particulièrement soigné avec des intégrales Beethoven et Tchaïkovski ; sans oublier le souci qu'a toujours montré Philippe Jordan d'échanger avec le public à l'occasion de masterclasses passionnantes. L'occasion encore de vérifier (en dehors des soirées d'opéras ou de concerts) que ce chef raffiné brillait (avec une modestie charmante) dans son art : celui de l'analyse des partitions, de la compréhension fine des enjeux des œuvres et de la direction précise et généreuse des musiciens et chanteurs.

Pour ses adieux à son mandat de directeur musical, le chef suisse a concocté un très beau programme permettant de mesurer encore une fois l'excellence des forces orchestrales et chorales parisiennes. Très difficile à mettre en place et réservée à un orchestre de très haut niveau, la rare Faust-Symphonie S. 108 de Franz Liszt ouvrait la soirée. Ce dernier compose en 1854 une œuvre complexe pensée à l'origine comme un opéra. En trois parties, ce quasi-poème symphonique à la durée ambitieuse (un peu plus d'une heure) évoque les personnages principaux du drame de Goethe.

© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
La première et plus longue partie consacrée à Faust explore les différents épisodes de son épopée intime comme les contrastes de son caractère en une écriture vraiment originale pour l'époque, magnifiée par un (premier) orchestre formidablement engagé. Le second et émouvant mouvement peignant le drame de la tendre Marguerite précède un troisième d'une modernité assez confondante quant à l'invention pour dessiner le profil du sarcastique Méphistophélès ; un mouvement porté par un orchestre ici génialement souple, engagé, aux pupitres impeccables.

Le chef a, quant à lui, montré sa capacité à modifier subtilement les tempi, les accents, à travailler les coloris dans cette œuvre aux contours toujours inattendus, mais tellement expressive. Le finale prônant la rédemption et l'amour de "L'Eternel féminin" hausse la symphonie à une hauteur de vue et à une émotion confondantes avec l'intervention du chœur masculin (très prêt grâce à sa nouvelle cheffe Ching-Lien Wu) et celle du ténor Andreas Schager.

Après un entracte, le troisième acte du "Parsifal" de Richard Wagner a profondément bouleversé Bastille. Avec un second orchestre à la cohésion idéale, aux cordes enivrantes, aux vents éclatants et au pupitre de percussions impressionnant, le nouveau directeur musical de l'Opéra de Vienne a encore démontré sa maîtrise superlative de l'art de la transition wagnérien, sa puissante force persuasive capable d'entraîner très loin chanteurs et musiciens, son intelligence passionnée de l'œuvre. Tous sont secondés par une distribution sublime : le noble Gurnemanz de René Pape, l'Amfortas déchirant de Peter Mattei et le Parsifal d'un des meilleurs heldentenors de sa génération, Andreas Schager (au chant peut-être un peu moins large et aisé sur la respiration que d'habitude, mais tout de même magnifique). N'oublions pas la Kundry d'Eve-Maud Hubeaux, qui pousse deux remarquables cris en début d'acte. On attend vraiment sa Kundry avec impatience.

© Elisa Haberer/OnP.
© Elisa Haberer/OnP.
Avec Philippe Jordan, qui nous a fabriqué en douze ans de bien beaux souvenirs (l'ovation finale du public en a témoigné), le vénérable Opéra de Vienne a choisi le digne héritier des Mahler, Walter, Böhm et Karajan pour sa fosse. À Paris où il a évolué avec nous, c'est avec impatience que nous attendrons (avec les musiciens) le retour du Maestro.

Concert exceptionnel du vendredi 2 juillet 2021 à retrouver en replay sur le site de France Musique.

>> "Ce n'est qu'un au revoir !" sur France Musique

Christine Ducq
Mardi 6 Juillet 2021

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Concerts | Lyrique







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"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023