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Théâtre

"Jean Zay, l'homme complet" Le destin tragique d'un grand homme, visionnaire et hors du commun

1940. Après un simulacre de procès, Jean Zay, ministre de l'Éducation Nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire, radical de gauche, franc-maçon et cible des antisémites, est condamné par le gouvernement de Pétain à la déportation. Finalement incarcéré à la prison de Riom, il sera assassiné par la milice française, le 20 juin 1944.



© David Ruellan.
© David Ruellan.
Précieux éclairage sur les années trente en France, sur son action visionnaire et sur le tragique de son destin, le témoignage que Jean Zay a écrit en prison est une remarquable leçon de présence au monde et le témoignage d'un homme en lutte contre l'anéantissement moral.
L'année 2024 marquera le 80ᵉ anniversaire de son assassinat.

Pour quelles raisons insondables le nom de Jean Zay est-il si méconnu de la plupart d'entre nous, ou que son témoignage carcéral n'est pas étudié davantage ? Et, paradoxalement, pourquoi tant d'établissements scolaires portent-ils son nom ? En voilà une question que soulève indirectement la reprise théâtrale de "Jean Zay, l'homme complet", mise en scène par Michel Cochet et admirablement interprété par le comédien Xavier Béja, actuellement à l'affiche de l'Essaïon à Paris.

D'aucuns, heureusement, ont su reconnaître en cet immense visionnaire une figure incontournable de la France des années trente car Jean Zay a été panthéonisé en 2014 par le gouvernement de François Hollande.

Il n'a pas encore 32 ans et, pourtant, il est appelé par Léon Blum pour être ministre de l'Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front-Populaire, institution dans laquelle il engage de nombreuses réformes, révolutionnaires pour l'époque. Député radical-socialiste, il crée aussi le CNRS, la réunion des Théâtres Nationaux, le Musée de l'Homme, le Musée d'Art Moderne et celui des Traditions Populaires, développe la lecture publique, favorise le théâtre populaire, prépare le premier Festival de Cannes, invente le bibliobus, pérennise le Palais de la Découverte, organise l'Exposition Universelle de 1937. C'est Jean Zay qui pose, aussi, les bases de l'ENA !

Malheureusement, il incarne tout ce que le gouvernement de Pétain déteste : le Front-Populaire, les Juifs, la Franc-Maçonnerie, la République radicale, l'enseignement public et la résistance à Hitler.

© David Ruellan.
© David Ruellan.
Est-ce cette impressionnante prodigalité qui a inspiré le duo Béja-Cochet pour ce spectacle ? Ou plus particulièrement le contenu abondant du livre témoignage que Jean Zay écrit à la prison de Riom ? Ou les deux à la fois ? Peu importe, après tout, car l'adaptation que les deux comparses éclairés nous proposent de ce journal de captivité est une véritable immersion dans le passé d'un homme engagé jusqu'au bout de sa plume, mais aussi une vitrine ô combien clairvoyante de notre France des années trente.

De toute évidence, pour le metteur en scène Michel Cochet, il a fallu faire des choix drastiques et rien n'a été simple, car des 550 pages que constitue le témoignage de cet immense humaniste, il a fallu n'en garder qu'une vingtaine.

"Ce moment a été d'une grande douleur pour moi, mais impossible de tout conserver de cette chronique émouvante, bien qu'emplie de pudeur. Impossible de tout dire de la vie quotidienne d'un homme en prison, de la dureté de ses conditions de détention, des pensées clairvoyantes de ce grand penseur. Mais j'avais quelque part un devoir de mémoire, car "Souvenirs et Solitude" de Jean Zay, à bien y regarder, est tout simplement d'intérêt public !

"J'ai essayé de garder la ligne directrice d'un homme à la conscience exemplaire, la figure même d'un serviteur de l'État portant haut les valeurs citoyennes et l'image d'un humaniste doué de raison n'ayant d'autre horizon que l'intérêt public", indique Michel Cochet.

© David Ruellan.
© David Ruellan.
Et c'est en effet un homme "complet" que nous découvrons dans la sensible interprétation de Jean Zay par Xavier Béja. Pas de représentation réaliste d'une cellule de prison dans cette subtile adaptation, mais plutôt une transposition fine et juste dans la conscience d'un homme en péril.
Une fiction à la frontière de l'hyperréalisme convoquant une pensée vivante qui combat sous la plume hautement littéraire de Jean Zay. Car Jean Zay était aussi un remarquable écrivain !
Que n'était-il pas ?

La combinaison des images d'archives, sous les houlettes féminines de Dominique Aru et Sylvie Gravagna, renvoyant au réel historique, d'images plus poétiques qui ravissent le public, ou encore de la bande-son sobre, mais efficace d'Alvaro Bello, parvient à faire de ce spectacle intense un très beau moment de théâtre.

Sans oublier les lumières de Charly Thicot qui nimbent la scène avec grande justesse.
La ressemblance frappante entre le comédien Xavier Béja et Jean Zay n'est certainement pas étrangère à ce que les spectateurs entrent largement dans la conscience de cet homme, encore une fois bien trop méconnu, "conscience qui n'a jamais faibli, sans cesse tournée vers la quête sans ego. Un serviteur de l'État, élégant, courageux, rigoureux, empathique. Noble, en un mot", ajoute Michel Cochet.

Si Jean Zay regarde le monde de 2024 comme il va, gageons qu'il serait fier et enthousiaste de cette libre interprétation de son journal.

Quant à nous, osons espérer qu'un jour prochain un nouveau Jean Zay naîtra à nouveau pour redresser notre beau pays…
Bravo, Messieurs.

"Jean Zay, l'homme complet"

Adaptation et jeu : Xavier Béja.
Mise en scène : Michel Cochet.
Décor, costumes : Philippe Varache.
Lumières : Charly Thicot.
Création sonore : Alvaro Bello.
Vidéo : Dominique Aru.
Par la Compagnie Théâtre en Fusion.
À partir de 13 ans.
Durée : 1 h 15.

Du 16 janvier au 26 mars 2024.
Mardi à 19 h 15.
Théâtre Essaïon, Paris 4e, 06 11 28 25 42.
>> essaion-theatre.com

Tournée
28, 29 février et 1ᵉʳ mars 2024 : Théâtre de Saint-Maur, Saint-Maur-des-Fossés (94).
9 mars 2024 : La Halle, Limogne-en-Quercy (46).
14 mars 2024 : Théâtre Jean Vilar, Montpellier (34).

Brigitte Corrigou
Mercredi 14 Février 2024

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Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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Gil Chauveau
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© Betül Balkan.
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
26/03/2024