La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Je me souviens le ciel est loin la terre aussi"… jusqu'aux décors qui en parlent !

Ce sont des souvenirs à laquelle nous convient Aurélien Bory et Mladen Materic d'une pièce montée par ce dernier en 1994 et qui avait marqué Aurélien Bory. Au travers de ce qui lui en est resté, le chorégraphe accouche d'une re-création où les éléments scéniques parlent quand les protagonistes ne disent mot. C'est le silence qui donne forme à une expression scénique où ce qui se joue est la présence de l'autre au travers de son regard, de sa posture et de ses attitudes.



© Aglaé Bory.
© Aglaé Bory.
Lumières sur scène où une vague de balles de ping-pong blanches la recouvrent. Telle une avalanche, tout se déverse sur les planches, donnant une atmosphère un peu surréaliste d'un monde où tout semble imaginaire. Ces petites boules blanches sont une invitation à un rêve éveillé, dans un monde où marcher devient autre, presque événementiel, car le sol devient un lieu autant de déséquilibre que de glissades heureuses.

Ils sont quatre, un couple qui s'aime plus ou moins, un homme quasiment amant de la femme et un technicien des surfaces "bouleuses" avec sa grosse pelle en forme de râteau pour tirer à lui et pousser vers l'extérieur les balles de ping-pong. L'équilibre reste donc précaire dans les déplacements. Les accessoires de décor sont poussés, emboîtés, mis en biais tels des caractères principaux d'une pièce. Ils en deviennent la colonne vertébrale. Nul mot, nul propos, nul rire, nul pleur, car tout est silence et questionnement.

Cela démarre par un comédien, avant même que le rideau ne se lève, ou alors sans doute s'est-il levé, sur une scène pas éclairée, avec un regard vers le public, un peu perdu, comme à essayer de comprendre ce qu'il fait, lui ici et nous peut-être aussi. C'est cette relation d'ambivalence qui se dégage durant toute la représentation. C'est aussi de savoir qui est qui, et quelle relation unit les personnages. On s'observe. Tout est regard et attitudes.

© Aglaé Bory.
© Aglaé Bory.
Parfois, au travers de vidéos, un peu désuètes, qui donnent, de façon décalée, une profondeur cinématographique avec un protagoniste sur les planches qui pousse l'écran sur lequel est projetée une vidéo de ce qui se joue sur le plateau pour le faire rencontrer au personnage situé à un autre endroit des planches. L'imaginaire devient réel, la fiction réalité, le film un théâtre. C'est le mariage entre ces mondes, à la frontière desquels un comédien se situe autant dans le film que dans un décor de théâtre.

La représentation est découpée en tableaux pouvant exister seuls à seuls et sans qu'il y ait réellement une continuité entre eux. Et pourtant tout se suit, comme dans une trame avec un début et une fin. Si on les reprenait tous pour les mélanger dans un grand saladier artistique pour les en ressortir, l'ordre, même différent, ferait l'affaire. Car qu'est-ce qui prime avant tout ? Ce n'est pas un lien de cause à effet qui amène à une action, grande ou petite, parce qu'ici, point d'action, du moins finie, car tout est en suspens. Seules existent des situations avec des protagonistes souvent fixes dans des relations où la présence de chacun suffit presque.

Il y a peu de déplacement. Les caractères ne se parlent pas et sont à distance, sauf pour le couple où l'homme a quelques touchés vers la femme, réfrénés ensuite par elle. Les gestuelles font paroles, répliques, conversations sans pour autant que celles-ci soient volubiles. Tout est concis, sans fioritures.

© Aglaé Bory.
© Aglaé Bory.
Car, après tout, quelle est l'histoire, la fable de ce spectacle ? Ce sont surtout des souvenirs d'Aurélien Bory quand il a vu, pour la première fois en 1994, alors qu'il avait 22 ans, "Le ciel est loin la terre aussi" mise en scène par Mladen Materic auprès duquel il s'est formé en 1998 durant deux ans en intégrant sa troupe. Il en a été marqué. Pour cette création, il s'est aidé de son metteur en scène, des comédiens de l'époque et des décors, pour rejouer une pièce devenue autre, car nourrie d'oublis, de raccourcis et d'une reconstruction influencée par sa personnalité. De l'œuvre initiale, qu'en est-il resté ? Nous n'en savons rien et ce n'est pas ce qui compte. Sauf à occulter l'intention primordiale d'Aurélien Bory qui est de construire sa propre version en s'aidant de son propre cheminement artistique. Un hommage autant à l'œuvre qu'à Mladen Materic.

Créé le 27 septembre 2019 au Théâtre Garonne (Toulouse), dans le lieu où avait été joué "Le ciel est loin la terre aussi", le spectacle dégage un rayonnement presque irréel, oscillant entre théâtre et mouvements pouvant s'apparenter à de la danse et du mime. Un spectacle corporel où le geste en est l'alpha et l'oméga, le regard en étant la grammaire. Audacieux et inspirant !

"Je me souviens le ciel est loin la terre aussi"

© Aglaé Bory.
© Aglaé Bory.
Conception, scénographie, mise en scène : Aurélien Bory, Mladen Materic.
Avec : Aurélien Bory, Haris Haka Resic, Jelena Covic, Mickael Godbille.
Composition musicale : Joan Cambon.
Création lumière : Arno Veyrat.
Conception technique décor : Pierre Dequivre.
Construction décors : Pierre Pailles, Jérémy Sanfourche, Olivier Jeannoutot.
Peinture : Isadora De Ratuld
Accessoires : Stéphane Chipeaux-Dardé.
Costumes : Manuela Agnesini.
Régie générale et lumière : Thomas Dupeyron.
Régie plateau : Mickael Godbille, Yarol Stuber-Ponsot.
Régie son : Stéphane Ley.
Production Compagnie 111.
Durée : 1 h 15.

Le spectacle s'est joué du 24 novembre au 3 décembre 202.
Au Monfort théâtre, Grande salle, Paris 15e, 01 56 08 33 88.

© Aglaé Bory.
© Aglaé Bory.

Safidin Alouache
Vendredi 9 Décembre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024