La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"If Music be the food of love" Une représentation tout en finesse et pure beauté où l'amour illumine l'ensemble, quand bien même, il a disparu

C'est dans l'ouverture de "La Nuit des rois" de Shakespeare – "Twelfth Night" – qu'Orsino, duc d'Illyrie, prononce cette phrase : "If music be the food for love, play on" ("Si la musique est l'aliment de l'amour, donnez-m'en l'excès, jouez encore"). Saviez-vous que William Shakespeare avait écrit autant de sonnets ? 154 en tout, publiés pour la première fois en 1609, constituant un ensemble poétique majeur de la littérature anglaise.



© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
Mais c'est vers une fiction contemporaine que s'est tourné le comédien et chanteur baryton, Alexandre Martin-Varroy, incarnant ici un poète délaissé par son amant, dont les tourments sont largement palpables.

L'ensemble est d'une grande élégance, entre le jeu passionné et palpable du comédien, les notes de musique à l'accordéon de Julia Sinoiméri et les envolées acoustiques de Théodore Vibert. L'alternance des sonnets shakespeariens, pourtant sombres et désespérés, interprétés par le comédien, et de chansons issues des pièces de ce dernier, procure paradoxalement aux spectateurs un réel moment d'apaisement duquel se dégage une juste harmonie à la fois musicale, littéraire et opératique.

Gageons que la création d'un tel spectacle mêlant opéra, poésie et musique n'a pas dû être de tout repos pour Alexandre Martin-Varroy. Mais "quand on aime, on ne compte pas", dit-on bien souvent… "La découverte des "Sonnets" fut pour moi un véritable choc. J'ai eu l'impression que j'aurais pu écrire ces mots pour évoquer l'amour, l'amour passionnel, maladif et destructeur dont j'ai déjà fait l'expérience, le talent de Shakespeare en moins".

© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
C'est précisément l'amour contrarié qui est au cœur de cette remarquable représentation qui se joue en ce moment au Théâtre de l'Épée de Bois à Vincennes, dans sa salle en pierre, lieu magique et exceptionnel à nos yeux. Il s'y dégage une force singulière, quelque chose de brut et de vivant à la fois. À chaque spectacle que nous avons pu voir dans cet espace, nous avons ressenti les mêmes émotions.

Ces dernières ont été décuplées, cette fois-ci, au regard du thème évoqué dans ce spectacle, car il ne s'agit pas d'un lieu neutre, mais d'un écrin avec du caractère, et qui donne corps, profondeur et supplément d'âme aux propos tenus. Un tel lieu ne supporte pas l'à-peu-près ni l'amateurisme, car l'atmosphère y est presque organique et intensifie l'intensité dramatique.

Intensité dramatique, il y a dans ce spectacle ce que nous pouvons qualifier "d'engagé". Engagé par l'intensité des trente sonnets remarquablement mis en lumière par Alexandre Martin-Varroy à la voix de baryton – peut-être plus investi et probant dans ceux-ci que dans son jeu de comédien –, mais aussi par la présence énigmatique de la Dark Lady, interprétée par Julia Sinoimeri, figure féminine ambivalente naviguant entre désir et tourment.

© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
Une Dark Lady qui se déplace sur le plateau tel un elfe à la volumineuse chevelure rousse, tout de noir vêtu. Elle captive le poète désespéré, tout en élégance sobre et démesurée à la fois. Un spectacle engagé, aussi, par la présence de Théodore Vibert dans le rôle du jeune lord amant, vêtu comme au XVIIe siècle et pianotant sur un clavier aux sons futuristes.

La conjugaison de ces trois personnages confère à l'ensemble du spectacle une juste harmonie ancrée dans le temps shakespearien, du fait des costumes imaginés par Nathalie Pallandre et portés par Julia Sinoimérie et Théodore Vibert, mais aussi dans une époque plus contemporaine via la tenue du poète-chanteur, Alexandre Martin-Varroy, en jean et chemise à carreaux.

Une trouvaille tout à fait originale, transformant les touches du clavier de l'accordéon en un clavier d'une machine à écrire, laisse entendre aussi la portée universelle et intemporelle du propos. Écrire pour dire les maux.

Saisissons le message subtil et délicat de ce bien joli spectacle : l'amour et ses tourments sont éternels, complexes et bien souvent douloureux. Le temps destructeur qui passe inexorablement, peut toutefois être vaincu par la poésie, la beauté et la jeunesse – le "Fair Young" restant malheureusement toujours menacé.

© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
"If Music be the food of love", conçu et interprété par Alexandre Martin-Varroy, est un spectacle musical de la plus belle teneur, qui enveloppe le public d'une gangue à la fois douce et mélancolique, à l'image de son affiche à l'atmosphère liminale et romantique à souhait. Le saule pleureur verdoyant survit à la froidure de l'hiver tel le poète pourtant abandonné, et les deux silhouettes présentes – un homme et son cheval – confèrent à l'ensemble une dimension presque mystique qui révèle la quête intime des passions humaines, entre espoir, douleur et désir.

"Ramener les Sonnets – monument dans l'Art poétique baroque – à une parole théâtrale et donner une dimension scénique à travers l'espace mental et intime du poète, tels étaient les enjeux de mon travail. L'évocation de l'homosexualité bien présente dans mon spectacle n'a pas été la seule raison à cette création", précise Alexandre Martin-Varroy. Le pari est largement gagné !

"Ramener les Sonnets – monument dans l'Art poétique baroque – à une parole théâtrale et donner une dimension scénique à travers l'espace mental et intime du poète, tels étaient les enjeux de mon travail. L'évocation de l'homosexualité bien présente dans mon spectacle n'a pas été la seule raison à cette création", précise Alexandre Martin-Varroy. Le pari est largement gagné !
◙ Brigitte Corrigou

"If Music be the food of love"

© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
Sonnets et chansons : William Shakespeare.
Traductions de Jean-Michel Déprats (aux Éditions La Pléiade).
Conception et mise en scène : Alexandre Martin-Varroy.
Conseil dramaturgique : Pénélope Driant.
Collaboration artistique : Sandra Choquet.
Composition électroacoustique : Théodore Vibert.
Avec : Alexandre Martin-Varroy (comédien et chanteur), Julia Sinoimeri (accordéoniste), Théodore Vibert (électroacousticien).
Scénographie : Aurélie Thomas.
Costumes : Nathalie Pallandre.
Lumières : Olivier Oudiou.
Son et régie son : Margaux Robin.
Régie lumière : Bruno Brinas.
Chef de chant : Thomas Palmer.
Cie Pierrot Lunaire et Cie Musique et Toile.
Œuvres vocales et instrumentales : Dowland, Rameau, Couperin, Haydn, Schubert, Poulenc, Thomas, Quilter, Finzi, Vlasov, Cervantes, Brignolo, Ligeti…
Durée : 1 h 20.

© B. Buchmann.
© B. Buchmann.
Du 4 décembre au 21 décembre 2025.
Du jeudi au samedi à 21 h, samedi et dimanche à 16 h 30.
Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manœuvre, Paris 12ᵉ.
Réservation : 01 48 08 39 74.
>> Billetterie en ligne
>> epeedebois.com

Brigitte Corrigou
Jeudi 11 Décembre 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025