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Paroles & Musique

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…



© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
C'est dans ce cadre unique, emblématique, atypique et ô combien raffiné, que nous avons assisté à un spectacle musical pour le moins… remarquable. Parfois, les mots nous font défaut pour traduire les émotions et le ressenti que telle ou telle pièce nous procure. Ce fut le cas avec "Hedwig and the Angry inch".

Remarquable, certes ! Ou improbable, transcendant, bluffant, aussi, tant le contenu de l'histoire qui nous est racontée, que son appropriation et son adaptation par Brice Hillairet et Dominique Guillo, nous ont littéralement emportée.

Entre drags show, country rock, ballade, concert, comédie musicale, stand-up, musical rock, hard rock, récit théâtral, spectacle queer, cette prestation tourbillonnante et déjantée, certainement unique au festival, regorge de pépites scéniques et de talents et elle embarque le public sans commune mesure à travers l'histoire mouvementée de cette femme trans-genre qui malheureusement ne parviendra pas à émerger du lot musical et artistique de son époque, malgré son talent notoire et largement justifié.

Ce show est un spectacle au mélange de genres incomparables. Du jamais vu !

© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
Ainsi vont bien souvent les choses de la vie de certains(es) artistes, occultés(es) et bafoués(es), qui ne laissent pas de place au soleil à leur combat quotidien. Leur destin est émouvant, leur instinct de survie organique et vital.

Cette nouvelle adaptation est surréaliste par moments, parfois dépressive, mais, paradoxalement, exaltante, débordante d'énergie, bigarrée et bourrée d'humour trash.

Molière de la révélation masculine en 2020 pour son rôle dans "La Souricière" et finaliste du concours Jeunes metteurs en scène en 2018 au Théâtre 13, à Paris, avec la pièce "Lorsque l'enfant paraît", Brice Hillairet incarne Hedwig et porte le rôle de façon admirable, du début à la fin du show. Écorché vif dans la justesse de son interprétation, le comédien se confie avec brio sur le parcours chaotique de la star abandonnée sur fond de chute du Mur de Berlin. Sa transposition avec l'héroïne rock est ahurissante de justesse, de fougue, de talent.

L'émotion est au summum à de nombreux moments du spectacle, notamment lorsque Hedwig nous relate le moment où Tommy apprend qu'elle n'est pas une vraie femme et qu'il la plaque, sans le sou, au milieu de nulle part.

© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
Le tout est porté par une adaptation musicale hors pair et les lumières de Jacques Rouveyrollis, dignes des shows de Broadway, sont des plus perfectionnées.

Le médecin qui a opéré Hedwig lui a laissé un morceau ("One Inch" : un bout de chair dysfonctionnel) de l'homme qu'il était ! Tommy, pourtant toujours amoureux, ne reverra plus jamais Hedwig, mais la scénographie de cette luxuriante représentation, taillée au cordeau, nous fait comprendre que ces deux êtres-là ne se quitteront jamais totalement : des extraits du concert de Tommy, aux paroles sous-titrées, sont diffusés de manière régulière en intensifiant le propos.

L'histoire de ce spectacle est bouleversante, comme bien souvent les histoires d'amour raté, émaillées d'injustice, de chagrin et de spleen, mais, vêtue de ses bottes rose fluo, de sa veste en jean à franges démesurées et de sa perruque extravagante, l'Hedwig endommagée, interprétée par Brice Hillairet, est à son firmament : brillantissime "tout simplement". Anthéa Chauvière est également remarquable dans le rôle du mari croate et il donne le ton du spectacle dès les premières secondes.

© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
Encore une fois – au risque de nous répéter, mais cela vaut la peine quand les choses frôlent les étoiles –, les musiciens survoltés de ce show incomparable se conjuguent à merveille avec l'âme d'Hedwig et inondent la scène. Les synthétiseurs et les guitares pleuvent de notes assourdissantes dès l'ouverture sans nous lâcher un millième de seconde.

Un énorme bravo à eux quatre et tout particulièrement à Raphaël Sanchez pour sa direction musicale !

Vu au Théâtre Rouge Gorge lors d'Avignon Off 2023.


"Hedwig and the Angry inch"

© Grégory Juppin.
© Grégory Juppin.
De John Cameron Mitchell et Stephen Trask.
Adaptation : Brice Hillairet et Dominique Guillo.
Mise en scène : Dominique Guillo.
Assistant mise en scène : Grégory Juppin.
Avec : Brice Hillairet, Anthéa Chauvière, Lucie Wendremaire, Louis Buisset, Antonin Holub et Raphael Sanchez.
Direction musicale : Raphaël Sanchez.
Direction technique : Mathilde Monier.
Création lumières : Jacques Rouveyrollis et Jessica Duclos.
Vidéo : Stéphane Cottin.
Costumes : Jackie Tadeoni.
Coiffures et maquillages : Audrey Borca.
Conception sonore : Christophe Yvernault.
Par la Cie Hedwig and the Angry Inch.
À partir de 12 ans.
Durée : 1 h 30.

Du 18 septembre au 18 décembre 2023.
Les lundis 18 septembre, 23 octobre, 20 et 27 novembre, 11 et 18 décembre à 20 h.
Café de la Danse, Paris 11e, 01 47 00 57 59.
>> cafedeladanse.com
Reprogrammation envisagée à des dates non encore arrêtées en 2024 dans le même lieu.

Brigitte Corrigou
Mercredi 20 Septembre 2023

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
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Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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Gil Chauveau
15/09/2023