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Théâtre

"Harlem Quartet" Fragments de la mémoire à vif d'un personnage en quête de vérité

Tour de passe-passe de la littérature portée au théâtre que celui de faire côtoyer dans le même espace-temps de la représentation plusieurs époques de la vie accidentée de Harlem, ce quartier noir du New York déshérité, condensé des discriminations frappant les Afro-Américains. Ainsi, au travers d'un porte-parole investi humainement d'un passé tout entier impacté par les combats pour les droits civiques, sont révélées les péripéties d'une saga familiale traversant le temps (de 1949 à 1975) pour porter jusqu'à nous les luttes vitales des femmes et hommes noirs. Un cri articulé qui ne peut laisser de marbre.



© Tristan-Jeanne Valès.
© Tristan-Jeanne Valès.
Plusieurs temps se côtoient… 1975, celui de la narration par Hall de la mort de son "petit frère", Arthur, chanteur de gospel, homosexuel, mort deux ans plus tôt à 39 ans (la même destinée que celui du frère de James Baldwin, l'auteur) dans un pub miteux de New York où il avait ses habitudes. Filmé en vidéo, le trajet de Hall le menant chez Julia, l'ex toute jeune prêcheuse, amie de la famille, devenue ensuite pécheresse (prostituée) avant d'être aujourd'hui son amante. Sur une voiture passant à faible allure, l'on peut lire écrit en grosses lettres "L'Amérique tu l'aimes ou tu la quittes", slogan établissant un pont assourdissant avec une autre époque et une autre société, les nôtres, une actualité toujours brûlante.

Flash-back. Années cinquante. Julia, jeune fille évangéliste, prêche en chaire la gloire d'avoir une maison en ordre, c'est là "la volonté de Dieu", dit-elle. Quant au père de Julia, devenu veuf, il entend s'approprier sexuellement sa fille, en dehors lui de la volonté divine. Ainsi en va-t-il de l'amour terrestre (ou divin) dominé par des pulsions sexuelles prédatrices. Parallèlement, et là en toute légitimité humaine, encadrant en gros plan la scène de leurs amours homosexuelles, Arthur et Crunch (l'un de ses nombreux amants d'avant son amour passionnel pour Jimmy), commentent in vivo leurs touchants émois.

© Tristan-Jeanne Valès.
© Tristan-Jeanne Valès.
Les années soixante-dix et cinquante alternant en plans juxtaposés, mais aussi le temps confondu de ces deux époques réunissant sur le même plateau plusieurs moments de la même histoire en cours. Arthur disparu et son grand frère Hall dialoguant avec lui comme s'il était encore présent. Un passé recomposé faisant feu de tout bois pour dire, au travers d'envoûtants chants gospel et de prises de paroles politiques enflammées, l'amour de ce quartet d'Harlem (Hall et Arthur, son jeune frère ; Jimmy et Julia, sa sœur) s'aimant dans plusieurs combinaisons possibles. Des amours personnelles flamboyantes qui transcendent les frontières du genre pour chanter l'amour universel au-delà des couleurs de peau et de préférence sexuelle.

D'autres quartets, tout aussi vibrants d'humanité. Celui des trompettes de Sion, groupe musical monté naguère par Arthur. Ou bien celui formé dans leur enfance par Hall et Arthur et leurs deux parents. Ou encore celui formé dans le présent par Hall et son épouse, Tony et son frère, leurs enfants. C'est que les barrières temporelles n'ont rien à faire avec le désir universel d'amour qui parcourt en tous sens et tous lieux ces hommes et femmes en quête d'eux-mêmes… Et pour rendre compte de ce flux impérieux, l'imposant dispositif scénique s'ébranle comme les battants d'une fenêtre s'ouvrant et se fermant sur les périodes évoquées.

© Tristan-Jeanne Valès.
© Tristan-Jeanne Valès.
Si l'on ressort indéniablement touchés par ce flux sensible d'adresses à fleur de peau - témoignages incarnés avec une vérité palpable articulant les destins individuels aux combats pour la liberté de sujets victimes de la ségrégation autant raciale que sexuelle -, on ressent cependant parfois un sentiment de trop-plein. Comme si la complexité de la trame narrative de l'œuvre originelle de James Baldwin, associé aux luttes menées par Martin Luther King, avait du mal à s'imposer dans sa transposition à la scène ; si élaborée soit-elle.

Vu le vendredi 18 mars au TnBA, Grande Salle Vitez, Bordeaux. Représenté du mardi 15 au vendredi 18 mars 2022.

"Harlem Quartet"

© Tristan-Jeanne Valès.
© Tristan-Jeanne Valès.
D'après le roman "Just Above My Head" de James Baldwin.
Adaptation et mise en scène : Élise Vigier.
Traduction, adaptation et dramaturgie : Kevin Keiss.
Avec : Ludmilla Dabo, William Edimo, Jean-Christophe Folly, Nicolas Giret-Famin, Makita Samba, Nanténé Traoré.
Et les musiciens : Manu Léonard et Marc Sens.
Assistanat et collaboration artistique, Nanténé Traoré.
Scénographie, Yves Bernard.
Images, Nicolas Mesdom.
Composition musicale, Manu Léonard, Marc Sens et Saul Williams.
Lumière, Bruno Marsol.
Costumes, Laure Mahéo.
Maquillage et perruques, Cécile Kretschmar, assistée de Judith Scotto.
Habillage : Marion Régnier.
Production : Collectif d'acteurs Les Lucioles.
Durée : 2 h 20.

© Tristan-Jeanne Valès.
© Tristan-Jeanne Valès.
Régie générale : Camille Faure, ClaireTavernier.
Régie vidéo : Romain Tanguy, Pierre-Jean Lebassacq.
Régie son : Eddy Josse, Luis de Magalhaes Saldanha.
Régie plateau : ChristianTirole, Olivier Costard.
Le décor a été construit par les ateliers de la Comédie de Caen.

>> theatre-des-lucioles.net

Yves Kafka
Lundi 28 Mars 2022

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"Différente" Carolina ou "Cada uno es un mundo (Chacun est un monde)"

Star internationale à la frange rouge, Carolina est de retour en France, après sa tournée mondiale. Heureuse de retrouver son public préféré, elle interprète en live des chansons populaires qui touchent le cœur de toutes les générations.

© Audrey Bären.
Mais qui est donc cette incontournable Carolina ? Ou, plus exactement, qui se cache derrière cette artiste plutôt extravagante, à la folie douce ? De qui est-elle l'extension, au juste ?

L'éternelle question autour de l'acte créatif nous interpelle souvent, et nous amène à nous demander quelles influences l'homme ou la femme ont-ils sur leurs "créatures" fabriquées de toutes pièces ! Quelles inspirations les ont portées ! Autant de questions qui peuvent nous traverser particulièrement l'esprit si tant est que l'on connaisse un peu l'histoire de Miguel-Ange Sarmiento !

Parce que ce n'est pas la première fois que Carolina monte sur scène… Décidément, elle en a des choses à nous dire, à chaque fois. Elle est intarissable. Ce n'est pas Rémi Cotta qui dira le contraire, lui qui l'accompagne depuis déjà dix ans et tire sur les ficelles bien huilées de sa vie bien remplie.

Rémi Cotta, artiste plasticien, graphiste, comédien, chanteur lyrique, ou encore metteur en scène, sait jouer de ses multiples talents artistiques pour confier une parole virevoltante à notre Carolina. Il suffit de se souvenir du très original "Carolina Show", en 2010, première émission de télé sans caméra ayant reçu de nombreux artistes connus ou moins connus ou le "Happy Show de Carolina", ainsi que les spectacles musicaux "Carolina, naissance d'une étoile", "Le Cabaret de Carolina", ou encore " Carolina, L'Intelligence Artificielle".

"Différente" est en réalité la maturation de plusieurs années de cabarets et de spectacles où Carolina chante pourquoi et comment elle est devenue une star internationale tout en traversant sa vie avec sa différence". Miguel-Ange Sarmiento.

Brigitte Corrigou
08/11/2024
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Voir les choses en grand tout en restant léger ! Prendre du plaisir et, surtout, en donner ! Voilà la philosophie du Grand orchestre du Splendid qui régale le public depuis 1977. Bientôt 50 ans… Bientôt le jubilé. "De la musique avant toute chose" et vivre, vivre, vivre…

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Entre swing, jazz, salsa, reggae – quatre de leurs principales influences –, ou encore fiesta et mises en scène délirantes, les quatorze chanteuses et musiciens de l'Orchestre mythique enchantent le public, sur la scène du Café de la Gare, depuis le 11 novembre. Comme à leurs premières heures, et en échappant pourtant aux codes et impératifs de la mode, ils nous donnent irrésistiblement envie de monter sur scène pour danser à leurs côtés sur le plateau, frétiller, sautiller, et tout oublier l'espace de quelques instants. Leur énergie communicative est sans failles, et gagne sans commune mesure toutes les générations. Les cuivres étincellent. Les voix brillent de mille feux sonores.

Brigitte Corrigou
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"Jacques et Chirac" Un "Magouille blues"* décapant et burlesque n'occultant pas le mythe du président sympa et séducteur

Une comédie satirique enjouée sur le pouvoir, le mensonge et la Cinquième République portée par une distribution tonitruante et enthousiaste, dégustant avec gourmandise le texte de Régis Vlachos pour en offrir la clownesque et didactique substantifique moelle aux spectateurs. Cela est rendu aussi possible grâce à l'art sensible et maîtrisé de l'écriture de l'auteur qui mêle recherche documentaire affinée, humour décapant et bouffonnerie chamarrée pour dévoiler les tours et contours d'un Jacques sans qui Chirac ne serait rien.

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Portraitiste décalé et impertinent d'une Histoire de France ou de l'Humanité aux galbes pas toujours gracieux dont surgissent parfois les affres de notre condition humaine, Régis Vlachos, "Cabaret Louise" (Louise Michel), "Dieu est mort" (Dieu, mieux vaut en rire)"Little Boy" (nom de la bombe larguée sur Hiroshima), revient avec un nouveau spectacle (création 2023) inspiré d'un des plus grands scandales de notre histoire contemporaine : la Françafrique. Et qui d'autre que Jacques Chirac – l'homme qui faisait la bise aux dictateurs – pouvait être convoqué au "tribunal" du rire et de la fantaisie par l'auteur facétieux, mais doté d'une conscience politique aiguë, qu'est Régis Vlachos.

Le président disparu en 2019 fut un homme complexe composé du Chirac "bulldozer" en politique, menteur, magouilleur, et du Jacques, individu affable, charmeur, mettant autant la main au cul des vaches que des femmes. Celui-ci fut d'abord attiré le communisme pour ses idéaux pacifistes. Il vendra même L'Humanité-dimanche devant l'église Saint-Sulpice.

La diversité des personnalités importantes qui marquèrent le début de son chemin politique joue tout autant la complexité : Michel Rocard, André Malraux et, bien sûr, Georges Pompidou comme modèle, Marie-France Garaud, Pierre Juillet… et Dassault comme portefeuille ! Le tout agrémenté de nombre de symboles forts et de cafouillages désastreux : le bruit et l'odeur, la pomme, le cul des vaches, les vacances à l'île Maurice, les amitiés avec les despotes infréquentables, l'affaire ELF, etc.

Gil Chauveau
03/11/2024