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Théâtre

"George Dandin ou le mari confondu" Nous aussi "confondus" nous sommes…

Déconcertés à coup sûr, nous ne manquons pas de l'être, nous spectateurs de 2019, face à cette présente proposition, laquelle - si elle est impeccable de savoir-faire académique - manque singulièrement d'audace. En effet la farce de ce campagnard au ventre repu qui, pour avoir voulu épouser un titre de noblesse, se retrouve roulé dans la farine par des aristocrates ruinés, a fait long feu. Aucune modernité ici, plutôt une resucée du théâtre des après-midi scolaires d'antan… Et ce n'est pas la déclaration de Jean-Pierre Vincent (cf. programme de salle, "un tableau de la société française et de ses tensions") qui atténuera un tant soit peu le ressenti.



© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Certes, le décor échappe (en partie seulement) au réalisme "gros sabots" avec le choix de la demi-vache monumentale à la Jeff Koons fichée dans le mur de l'ancienne ferme (un zeste de contemporanéité) et des murs carton-pâte où seront projetées, en alternance, les vidéos du rêve versaillais du parvenu contrastant avec celles de ses origines fermières marquées entre autres par un reste de vrai tas de foin.

Certes, l'interprétation de Vincent Garanger - ôtant et remettant sa dérisoire perruque, symbole de son embarras présent - dans le rôle d'un Dandin obtus et lucide à la fois n'est pas sans force. De même, l'esprit de la farce chez Molière, qui jouait à l'envi des quiproquos et des situations loufoques visibles de l'assistance seule pour déclencher le rire facile des spectateurs (écho des facéties reprises par les comiques du cinéma muet), est pleinement rendu.

Certes, le tableau de ce petit prétentieux nobiliaire avide de jouir de sa supériorité de classe pour s'approprier tout ce qui porte jupon, et celui tout aussi pathétique du couple d'aristocrates ruinés désireux de se refaire la bourse en vendant leur fille à un roturier, eux qui n'ont que la religion à la bouche, trouvent leur justification. Tout comme le désir de grandeur de pacotille du roturier voulant porter perruque et fonçant lucidement droit vers sa perte - "Vous l'avez voulu, vous l'avez voulu, George Dandin, vous l'avez voulu" - est probant.

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Certes, encore, la déclamation des désirs bafoués de l'infortunée jeune épouse, objet d'une transaction d'intérêts, ne manque pas de vérité… Mais ceci étant posé, et après avoir constaté les belles lumières, les beaux costumes d'époque, après avoir établi ce constat d'un savoir-faire indiscutable pour faire entendre les attendus de la pièce créée à Versailles le 18 juillet 1668 lors du "Grand divertissement royal", avec musique de Lully à l'appui (recréée ici), on se demande ce que cela peut apporter quelque trois cent cinquante ans plus tard…

… si ce n'est fixer à tout jamais les goûts du spectateur à une date qui a fait son temps. Si l'on veut parler des rapports de domination entre les sexes, entre les genres, et des conflictuels rapports de classes qui bouleversent nos sociétés contemporaines, n'y a-t-il pas mieux à faire qu'avoir recours à ce pauvre et pathétique George Dandin - devenu Monsieur de la Dandinière -, si dépassé qu'il en rate même son vrai-faux suicide ?

Une dame fort respectable laissait échapper, après les applaudissements coutumiers, une remarque éclairante. Elle disait : "Ah ! Enfin du Théâtre ! Dommage que l'on n'en voie pas plus ici…". Certes. Et c'est tant mieux.

"George Dandin ou le mari confondu"

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Texte : Molière
Mise en scène : Jean-Pierre Vincent, assisté de Léa Chanceaulme.
Avec : Vincent Garanger, Étienne Beydon, Anthony Poupard, Elizabeth Mazev, Alain Rimoux, Olivia Chatain, Aurélie Edeline et Matthias Hejnar.
Dramaturgie : Bernard Chartreux.
Scénographie : Jean-Paul Chambas, assisté de Carole Metzner.
Costumes : Patrice Cauchetier, assisté d'Anne Autran.
Musique originale : Gabriel Durif, d'après des extraits du "Grand Divertissement Royal de Versailles" (Molière-Lully).
Lumière/vidéo : Benjamin Nesme.
Son : Benjamin Furbacco.
Maquillage : Suzanne Pisteur.
Régie générale : Xavier Libois.
Réalisation costumes : Atelier Caraco.
Construction décor et accessoires : Les Ateliers du Préau avec Cyrille Florchinger et Clémentine Pignal.
Durée : 1 h 50.
À partir de 13 ans.
Production 2019 Studio Libre, Compagnie A L'Envi.

© Tristan Jeanne-Valès.
© Tristan Jeanne-Valès.
Spectacle créé au Préau - Centre Dramatique National de Normandie.

A été joué au TnBA, Bordeaux, du 10 au 14 décembre 2019.

Dates de tournée 2020 : calendrier en cours de réalisation.

Yves Kafka
Lundi 23 Décembre 2019

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
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© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

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15/09/2023