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Festivals

Festival L'Échappée Belle, au milieu d'un parc de verdure, la fête des arts partagés…

Pour célébrer le printemps et clôturer "naturellement" sa saison, la Scène nationale du Carré-Colonnes propose un festival champêtre invitant pour sa 31ᵉ édition des compagnies de Nouvelle Aquitaine, de Bretagne, de Bourgogne, d'Île-de-France, des Hauts-de-France, mais aussi de Belgique et d'Espagne. Quatre journées où la fête est invitée – deux journées jeune public et professionnels, et un week-end grand public – autour de propositions artistiques mêlant cirque, danse, théâtre et plus si affinités. Sur la vingtaine de spectacles programmés, nous avons eu le loisir d'en découvrir huit…



"Lemniscate" © Pierre Planchenault.
"Lemniscate" © Pierre Planchenault.
"Lemniscate", de la Cie Bivouac, a été choisi pour ouvrir le Festival. Jouant avec les ressources offertes par une intrigante machine hélicoïdale semblant s'être échappée d'un somptueux décor de film futuriste, trois voltigeurs débonnaires arpentent en tous sens ses voilures métalliques. L'occasion pour eux d'explorer les lois de la gravité de manière ludique. Entre jeux d'attirances et défis lancés à distance, ils occupent l'espace-temps… ce dernier ayant par ailleurs tendance à tourner sur lui-même sans engager une véritable révolution dramatique propre à maintenir une idée de suspense. Mais il est vrai que le temps long de l'éternité spatio-temporelle ne peut s'accorder avec celui de nos impatiences présentes.

"Troc", de la Cie Sauf le Dimanche, propose des improvisations dansées articulées aux "dons de geste" émanant du public. Dans une société consumériste, réinventer le troc comme monnaie d'échanges est une belle initiative citoyenne et artistique, surtout lorsqu'il s'agit d'offrir un simple geste… qui, en retour, deviendra l'objet d'une chorégraphie inventée "sur le champ" par les deux danseuses s'en saisissant avec envie. Une forme aussi simple que percutante, inscrivant de facto le public "faisant corps avec la démarche".

"Francis sauve le monde" © Asso art et images.
"Francis sauve le monde" © Asso art et images.
"Francis sauve le monde", de la Cie Victor B., se présente comme un road movie immobile et singulièrement déjanté surexposant le fantasque anti-héros échappé de la BD iconoclaste de Claire & Jake. Trouvant ici refuge dans un foodtruck servant de castelet aux innombrables peluches-personnages agitées par un Francis déluré flanqué de deux acolytes, les aventures hautement rocambolesques et politiquement très incorrectes de cet ovni décomplexé XXL vont déferler tel un tsunami imparable. Annoncées imperturbablement par la même accroche - "Francis se promène dans la campagne…" - dont la naïveté peu commune résonne comme un avertissement facétieux, les frasques de l'inénarrable Francis qu'aucun frein ne semble décidément pouvoir arrêter vont se précipiter au rythme des tirs (à blanc) d'une mitraillette.

Et les salves (d'humour) font mouche à tout coup nous plongeant dans une jubilation liée à un lâcher prise salvateur… On passe en effet à la vitesse supersonique d'un sujet à l'autre, dans un étourdissement complet "des sens". Qu'il s'agisse du cocufiage d'un ami, de la mise en cloque par ses soins de la compagne dudit ami, de l'immolation du feu ami, de sa contamination par le VIH, du vaccin qui le sauve providentiellement, de sa "Résistible Ascension" à la tête d'un parti d'extrême droite avec les honneurs qui y sont attachés, des bébés congelés à la naissance par sa femme (congelée ensuite), de sa gangrène ou de son AVC, de ses frasques conjugales qu'il enfile comme des perles - autant de mises en jeu délirantes (cf. le remake de Star Wax !) - tout concourt, dans un second degré éblouissant, à nous purger du poids des convenances établies. À savourer… entre personnes averties !

"Le magnifique bon à rien" © Mathieu Dewaele.
"Le magnifique bon à rien" © Mathieu Dewaele.
"Le magnifique bon à rien", de la Cie Chicken Street, remet au goût (théâtral) le cinéma itinérant d'antan pour, avec les moyens du bord (à savoir, un empilage de caisses de bois), arpenter le film culte de Sergio Leone "Le bon, la brute et le truand" animé par le désir d'en livrer une parodie "enjouée". Chevauchant à grandes enjambées les lieux des scènes légendaires (le désert, le pont stratégique, le cimetière, la tombe…) mettant aux prises les trois illustres chasseurs de primes sans foi ni loi, se servant d'une agrafeuse comme fusil à répétition, reprenant les moments clés de l'intrigue du western spaghetti jusqu'à la scène finale où la corde passée au cou du meilleur ennemi sera coupée net, le comédien prend manifestement plaisir à rejouer l'itinéraire haut en couleurs de ces affreux magnifiques.

Ce faisant, il s'applique à reproduire à l'aide d'effets spéciaux pour certains réussis ("... et le cavalier sur sa monture s'éloigne au loin, sa silhouette devenant de plus en plus petite") et de répliques cultes fidèlement mentionnées ("Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses."), le côté cocasse de cette épopée picaresque inscrite au panthéon du cinéma. Cependant, on peut rester sur sa faim… de théâtre, tant cinquante minutes de caisses déplacées, certes avec conviction, "c'est long, surtout vers la fin" (cf. Woody), les ficelles apparaissant un peu trop grosses sous le soleil sans pitié du désert.

"Bleu Tenace", de la Cie Rhizome, réinvente le rêve ancestral d'échapper à la gravité (terrestre) pour s'abstraire des lois de la pesanteur. Suspendue en toute (in)tranquillité à une barre fixée près de la cime d'un mât chinois surplombant le sol de plus de ses six mètres, la circassienne se livre à des chorégraphies aériennes sans attache aucune, ses mains repliées sous elle. Accompagnée par une musique envoûtante, elle s'abandonne à l'ivresse des hautes altitudes, tête rejetée vers le sol. Lovée autour de la tige avec laquelle elle fait corps, elle vogue librement dans les nues… Un moment de grâce poétique inscrivant, en lettres éphémères dans l'azur de ce temps suspendu, l'insoupçonnable légèreté de l'être.

"Nos ancêtres les Gaulois" © Mathieu Dewael.
"Nos ancêtres les Gaulois" © Mathieu Dewael.
"Mes ancêtres les Gaulois", de la Cie La Volige, résonne en plein avec l'actualité brûlante du roman national réécrit par ceux qui voudraient, "coûte que coûte" à des fins éminemment électoralistes, bouter l'étranger hors des frontières hexagonales. "La France aux Français !" s'égosillent-ils en chœur… Mais, au fait, de qui parlent-ils ? De qui ont-ils hérité leur nom, ces Français dits de souche, brandis comme des étendards face aux démons de l'extérieur ?

Plus d'une heure durant, tableau généalogique affiché, Nicolas Bonneau va revisiter méticuleusement l'histoire de ses ancêtres – histoire dont il est le fruit – pour proposer une cartographie personnelle… traversée par la Grande Histoire, modelant chaque parcours frappé au coin du contexte dans lequel il s'inscrit. Sa conférence théâtralisée, outre son intérêt artistique indéniable, a fonction d'antidote aux idées reçues.

Partant d'une anecdote personnelle – lors d'une promenade en bord de Seine, vérification de ses papiers d'identité –, il questionne d'emblée la notion d'identité française, lui qui par ses racines paysannes se sent avant tout Gâtinais…

"Nos ancêtres les Gaulois" © Mathieu Dewael.
"Nos ancêtres les Gaulois" © Mathieu Dewael.
À partir d'un livre retrouvé, ayant appartenu à son arrière-arrière-grand-père, il dévoile la fabrique du roman patriotique. "Le Petit Lavisse" daté de 1883, manuel à l'usage des enfants nés après la défaite cuisante de 1870, propose un récit édifiant pour panser les plaies d'une déroute en court-circuitant la pensée vive. Se faisant le chantre du roman national, ce recueil a contribué grandement à formater des générations d'élèves… De même, à partir des années cinquante, les exemplaires Planches Rossignol ont-elles présenté aux petits Français une vision recomposée de notre Histoire à fin patriotique…

Convoquant tour à tour les vies de ses ancêtres qu'ils ressuscitent sur le plateau – ainsi de sa grand-mère qu'il campe avec tendresse –, le troubadour contemporain n'a de cesse de mettre en exergue les conflits ayant fracturé leur existence, prisonnière de discours officiels qui les privaient de leur libre arbitre. Une anti-leçon vivifiante, et ô combien éclairante, à l'usage de celles et ceux qui ont la prétention de ne pas mourir (totalement) ignares quant à nos "origines gauloises".

"78 Tours" © Louise Rousseau.
"78 Tours" © Louise Rousseau.
"78 tours", de la Cie La Meute, est à vivre comme une invitation au voyage aux confins du monde tangible. Deux roues reliées par un axe vont servir de base pour propulser dans l'espace deux circassiens défiant superbement les lois de la gravité terrestre. Sur un scénario délirant à faire tourner la tête, les deux complices – accompagnés par un musicien "hors-sol" et dans un décor de cageots surréalistes – vont parcourir en tous sens l'empyrée pour décrire en arabesques corporelles les contours inexplorés de l'existence. Prenant des risques "insensés", leur témérité subjugue… au point de donner le vertige aux spectateurs médusés. Un exploit circassien scénarisé qui plonge au cœur d'un monde – le nôtre – peu réputé habituellement pour "tourner rond".

"De la mort qui rue", de Vouzénou compañi, pourrait être la version cocasse, mais sans concession aucune (sauf funéraire) de "La mort aux trousses" d'Hitchcock… à ceci près cependant qu'il ne s'agit pas là d'un avion sulfateur poursuivant de ses assiduités le héros pris au piège, mais d'un inventaire hilarant dressé par la comédienne recensant toutes les manières de mourir, joyeuses ou pas. D'emblée, avec un grand sourire illuminant son visage angélique, elle ne fait planer aucun doute sur ce qui nous réunit ici, jeunes et moins jeunes… Une question, cependant, subsiste : "Qui sera le premier ?...". Heureusement (pour l'une ou l'un d'entre nous), cette interrogation lancée à la cantonade restera sans réponse.

"De la mort qui rue" © Louise Rousseau.
"De la mort qui rue" © Louise Rousseau.
Comme dans un laps de temps plus ou moins éloigné on va tous avoir affaire à Dame Camarde, autant s'y préparer pour ne pas être pris bêtement au dépourvu... Avisant – au hasard – une bonne tête de gros fumeur, l'artiste rassure son propriétaire pour dire que la Mort n'a pas d'heure ni de cible prédestinée, elle est égalitaire (même si certains sont plus égaux que d'autres). Puisant dans son expérience personnelle – une invitation adressée aux spectateurs à en faire autant – elle livre le souvenir de ses treize ans où elle a cru trépasser, étouffée sous des tapis de gymnastique, qui de plus puaient ! Et "sur-git" la question qui tue : "Quelle mort imaginez-vous pour vous ?", suivie d'un élan compassionnel à mourir de rire : "Quand je vous regarde, j'ai du mal à imaginer que toutes et tous vont mourir…".

Le ton est donné et, dans la bonne humeur partagée, chacun sera invité à se choisir une phrase (empruntée à une anthologie cinématographique ou pas) pour la prononcer le moment venu. Pour sa part, la comédienne, décidément très en verve, proposera des interprétations à couper le souffle du "Titanic" ou encore de "Bambi", ainsi qu'un "Cri de la mère" de sa composition, à glacer les sangs…

Un antidote artistique et salutaire à la mort qui, selon le mot de Montaigne, n'est que "le bout et non le but de la vie" offert par un duo (Adèle Zouane & Jaime Chao), lui bien vivant !

31ᵉ édition du Festival L'Échappée Belle.
Présentée par la Scène nationale du Carré-Colonnes Blanquefort-Saint Médard (33).
Du 1ᵉʳ au 4 juin 2023.

Parc de Fongravey à Blanquefort (33).
Spectacles vus le samedi 3 juin, de 13 h 45 à 20 h.
>> carrecolonnes.fr

Yves Kafka
Mardi 20 Juin 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023