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Festivals

FAB 2025 "Kamchàtka", "Inesperat", "Alter", "Crescendo", Des valises et des hommes… et au bout de la nuit, le goût des autres chevillé au corps

De traversées urbaines en déambulations en pleine forêt, de jour comme de nuit, les comédiens et comédiennes de la Compagnie "Kamchàtka" affichent un sourire tout autant bienveillant que troublant. Leur regard habité par une histoire sans fin rappelle celui de celles et ceux qui, contraints(es) à l'exil, qu'il soit intérieur ou prenne la forme d'un exode, sont à la recherche d'une absence toujours présente en eux, une absence les rattachant à l'existence. Drapés dans un silence parlant, vêtus de leurs vêtements d'un autre âge, ayant pour seul bagage une valise brinquebalante, ils arpentent avec fierté l'espace, faisant feu de toutes rencontres.



"Kamtchatka" © Pierre Planchenault.
"Kamtchatka" © Pierre Planchenault.
"Kamchàtka", performance empruntant le nom de la Cie, investit l'espace de la grand place de l'Hôtel de ville de Bordeaux, la place Pey-Berland, où trône sur un piédestal d'un demi-mètre de hauteur la statue monumentale d'un premier édile au destin national. Contrastant avec la pesanteur (plus de 1100 kilos de bronze fondu) de l'art statuaire, la cordée solidaire se faufile prestement, valise au-dessus de la tête, entre deux rames du tramway afin de se frayer un passage dans la foule dense de cet après-midi de samedi très fréquenté.

Avisant un premier quidam, ce dernier est invité du regard à rejoindre la troupe qui ainsi s'enrichit progressivement de connaissances toutes fraîches… Aucun, aucune n'est exclu de cette proposition in situ. Une jeune fille handicapée en fauteuil se retrouve hissée sur un muret d'où, alignés, les comédiens, comédiennes, et leurs invités scrutent ensemble les badauds… Et lorsqu'une femme inspirée se met spontanément à danser, ils relèvent son invitation en s'y associant avec entrain. De même, lorsque l'opportunité d'un fourgon de traiteurs se présente, ils empruntent avec aplomb le véhicule commercial pour se livrer à des explorations donnant à voir l'espace public sous un autre angle que celui d'un conglomérat d'anonymes. Redonner droit de cité au désir de lien refoulé – vivace sous la gangue des us et coutumes policés – crée une euphorie partagée… tempérée, au moment du final, par les mystérieux portraits sortis de leurs valises et montrés à la cantonade.

"Inesperat" © DR.
"Inesperat" © DR.
"Inesperat", prolonge l'exploration de l'espace public en jetant son dévolu sur "le Triangle d'or". Sitôt débarquée du plateau d'un camion de chantier, Place de la Comédie – bornée par le Grand-Théâtre de Bordeaux, haut lieu du patrimoine, et, lui faisant face, le Grand Hôtel du XVIIIe habitué à ne voir que des voitures de luxe –, la troupe aux valises déglinguées ne manque pas d'attirer l'attention par son allure pour le moins décalée. Invitant du regard les passants, elle se livre avec facétie à des improvisations incluant silencieusement la foule présente, gagnée sur le champ par la bienveillance des acteurs et actrices. Les lunettes de soleil deviennent entre autres un objet transitionnel circulant malicieusement d'un visage à un autre pour unir la communauté dans le même ensemble. Moment de sérénité partagée… nuancée par les mêmes portraits énigmatiques extraits précieusement des valises pour être montrés à bout de bras.

La fiction d'une représentation théâtrale de rue étant ici rattrapée "fabuleusement" par deux motards de la police nationale s'apprêtant à verbaliser réellement le véhicule de chantier et sa cargaison de migrants affublés de valises bringuebalantes. Il faudra l'arrivée d'une voiture de renfort appelée en urgence (sic) pour que leur chef – qui, lui, savait lire… la plaquette du FAB – leur indique que ces migrants étaient des faux qui jouaient vrai… Un beau moment de "théâtre-réalité" à se faire pâmer de bonheur un certain William Shakespeare : "Le monde entier est un théâtre et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs ; notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles". À s'y méprendre… Était-ce, finalement, de vrais migrants… et de faux policiers ?

"Alter" © Pierre Planchenault.
"Alter" © Pierre Planchenault.
"Alter", trouve refuge dans la forêt de feuillus du Bourdieu, à Saint-Médard-en-Jalles. Dans le jour finissant, les ombres des spectateurs partent à la rencontre des créatures porteuses de valises semblant contenir ce qu'elles gardent de plus précieux… À la lueur d'une lanterne vacillante, au fond d'une petite clairière, une étrange scène se dévoile… Un homme, enterré jusqu'à la ceinture, repasse en boucle des images projetées sur le couvercle de sa valise ouverte. On le surprend, le regard hagard, courir comme un forcené, poursuivi par un danger hors plan.

Extrait de son trou avec l'aide des participants, il en retire un linge dans lequel sont enveloppées précieusement des pommes de terre cuites que l'on se partagera avec bonheur. De nouveau, il extraira de sa valise son projecteur et le même film défilera. Celui d'une fuite éperdue. Lui, courant sur les routes, un danger imminent à ses trousses. Jusqu'à la chute. À terre, les mains dans le dos… Images ressassées compulsivement d'un passé obsédant.

La forêt plongée dans l'obscurité réservera encore bien d'autres surprises… Comme celle, éminemment joyeuse, de danses festives improvisées à la lumière de guirlandes sorties miraculeusement des valises. Au cœur des épreuves les plus rudes, la musique insuffle vie et réconfort… Comme celle, plus tragique, d'une installation projetant les fragments des passés traumatiques de chacun. Remake de Virginia Woolf, des cailloux dans les poches, se noyant ; dessin animé de figures d'enfants se délitant dans l'eau…

Une plongée grandeur nature dans les réalités migratoires vécues in situ. Le silence des interprétations muettes rendant encore plus palpable l'illusion théâtrale.

"Crescendo" © Pierre Planchenault.
"Crescendo" © Pierre Planchenault.
"Crescendo", Des quatre performances improvisées de la Cie Kamchàtka – incluant spontanément le public comme partie intégrante de leurs propositions artistiques –, celle-ci ajoute une autre dimension… Celle de la présence, à côté des acteurs et actrices professionnels(les) de haut vol, d'une quarantaine de volontaires ayant bénéficié de plusieurs séances de préparations, bienveillantes et tonifiantes à souhait.

Les Trois Grâces, trônant fièrement au centre de la monumentale Place de la Bourse, n'en croient pas leurs yeux en cet après-midi de fin de festival, lorsqu'une troupe de migrants affublés de vêtements d'autres contrées débarque, tenant en mains des chaudrons de bouillon chaud… Les passants, invités à venir s'asseoir sur des bâches de chantier posées à même le pavé, ne se font pas prier pour goûter cette soupe populaire offerte généreusement.

Le cadre de l'intervention artistique étant fixé dans le plus grand silence, un saxophoniste emplit l'espace de ses notes accompagnant, par nappes successives, les chants lancinants de la foule faisant corps autour de lui… Des participants se lèvent tour à tour, chacun prenant grand soin d'ajuster le manteau de son ou de sa partenaire. Partager les chemins incertains de l'exil n'exclut aucunement l'échange d'intentions chaleureuses, intentions se reflétant elles aussi dans la fierté des regards.

Le franchissement plus ou moins hasardeux des rails (du tramway) et de l'asphalte encombré de véhicules conduit à la lisière du Miroir d'eau où se reflète ce "banc de migrants". Brandissant chacun la photo d'un être cher dont ils sont séparés, cliché écorné sorti précieusement de la poche de leur manteau défraîchi, ils quêtent – dans la foule alignée devant eux – un regard qui aurait pu peut-être croiser sa route… Émotions fortes partagées, dans un silence impressionnant amplifié par celui de la foule retenant son souffle.

Quant à la chute de cette traversée migratoire "exemplaire", c'est la Garonne qui superbement nous l'offrira… Franchissant lentement la rambarde, les migrants monteront à bord du bateau venu les attendre, avant de disparaître au loin, saluant délicatement de la main la foule restée à quai… Un très grand moment de théâtre improvisé.
◙ Yves Kafka

Performances vues pendant le FAB 2025, dans différents lieux de l'espace urbain de Bordeaux-Métropole et de la forêt du Bourdieu.

"Kamtchatka" © Pierre Planchenault.
"Kamtchatka" © Pierre Planchenault.
Cie Kamchàtka
Interprètes et créateurs : Cristina Aguirre, Mamadou Diallo, Maïka Eggericx, Sergi Estebanell, Claudio Levati, Andrea Lorenzetti, Judit Ortiz, Lluís Petit, Josep Roca, Edu Rodilla, Santi Rovira, Emma Rovira, Gary Shochat, Prisca Villa.
Interprètes : Amaya Mínguez, Jordi Solé.
Idée originale : Adrian Schvarzstein.

"Kamchàtka" a été vu le samedi 4 octobre 2025, Place Pey-Berland, Bordeaux.
Durée : 1 h.
"Inesperat" a été vu le vendredi 10 octobre 2025, Place de la Comédie, Place Gambetta, Bordeaux.
Durée : 1 h 30.
A également été représenté mercredi 8 octobre sur les Quais de Bacalan et Quai des Chartrons ; jeudi 9 octobre sur le Parvis Gare Saint-Jean Belcier et le Parvis de la MÉCA ; vendredi 10 octobre sur la Place de la Comédie, le Cours de l'Intendance et sur la Place Gambetta.

"Crescendo" © Pierre Planchenault.
"Crescendo" © Pierre Planchenault.
"Alter" a été vu le mardi 7 octobre 2025 dans la Forêt du Bourdieu à Saint-Médard-en-Jalles.
Durée : 2 h.
A également été représenté les mardi 7, mercredi 8, jeudi 9 et vendredi 10 octobre dans la Forêt du Bourdieu, Saint-Médard (déambulation en extérieur).
"Crescendo" a été représenté le samedi 11 octobre 2025 à Saint-Médard-en-Jalles et ensuite au Miroir d'eau de Bordeaux.
Durée : 50 minutes.

FAB - 10ᵉ Festival International des Arts de Bordeaux Métropole.
A lieu du 26 septembre au 11 octobre 2025.

9 rue des Capérans, Bordeaux (33).
>> fab.festivalbordeaux.com

Tournée
Du 7 au 9 novembre 2025 : "Kamchàtka" Performing Art Cargo Festival, Limassol Old Town (Chypre).

Yves Kafka
Lundi 27 Octobre 2025

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