La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

FAB 2019 "Rebota rebota y en tu cara explota" Performance anti-féminicide à mettre KO debout le machisme ordinaire

"Ça rebondit, ça rebondit et ça t'éclate en pleine face" est un manifeste sociétal à prendre au pied de la lettre tant Agnès Mateus, performeuse ibérique biberonnée à la movida de l'après-franquisme, "ne prend pas de gants" pour asséner en bête de scène des coups mortels au machisme gangrénant, à l'insu de son plein gré, la société des Hommes. Se démenant en tous sens sur le ring de la dénonciation en règle des féminicides, la "mégère désapprivoisée" rend coup pour coup dans un combat sans merci.



© Quim Tarrida.
© Quim Tarrida.
L'entrée en matière tonitruante propulse, dans une caricature de cabaret prisé par les mâles en goguette, une créature se contorsionnant derrière un visage dissimulé par un masque grotesque. Tout en exhibant ses fesses impeccablement moulées dans un pantalon lamé propre à exciter le mâle en rut, elle esquisse le salut hitlérien en dessinant avec son doigt la moustache qui va avec, avant de se servir de ses mains comme cache-sexe dérisoire, offrant ainsi en pâture les archétypes de fantasmes masculins éculés.

Retirant le masque, Agnès Mateus campée sur ses jambes, profère à la face du public - pendant qu'un écran défilant redouble ses paroles vociférées - un best of des mille et une insanités par lesquelles le macho décomplexé désigne volontiers la gent féminine, avec en contrepoint, et renforçant l'effet dévastateur, des bluettes sentimentales chantées à tue-tête…

Qu'il est beau et séduisant le monde des contes enchantés où les petites filles, princesses fragiles et adorables poupées de salon, attendent sagement - les yeux pleins de cœurs pétillants à la Disney - le Prince Charmant qu'elles épouseront pour le meilleur… et pour le pire. Iconoclaste en diable, s'affublant elle-même d'une robe en tulle blanc de mariée princesse, la performeuse revisite "virilement" les contes berçant l'enfance innocente en distillant dans leurs plis doucereux le venin de la soumission inconditionnelle au mâle.

Quarante-cinq ans après "Du côté des petites filles" de la pédagogue féministe italienne Elena Gianini Belotti, l'humour corrosif de la performeuse catalane détricote les contes traditionnels - La Petite Sirène, La Belle au bois dormant, Cendrillon, La Belle et la bête, La Princesse au petit pois - avec une perspicacité décapante propre à reléguer au placard le dorénavant trop classique Bruno Bettelheim et sa "Psychanalyse des contes de fées". Quant aux productions contemporaines (Heidi, série télévisée d'animation nippo-suisso-américaine, La Reine des neiges et le monde merveilleux de Disney), elles ont pris désormais le relais du formatage.

Les messages subliminaux ainsi transmis écrivent "durablement" le destin de leurs destinataires. Après avoir été délicieusement délivrées de leur fade (in)existence par leur sublimissime seigneur et maitre, les petites filles modèles l'épouseront en grande pompe… pour mieux se faire violer par lui, et plus si affinités (cf. les courtes séquences filmées projetées comme les rébus du petit train, interlude d'antan, où la caméra survole le corps disloqué d'une femme, pantin mis au rebut, jeté là entre les ruines d'une décharge sauvage).

© Quim Tarrida.
© Quim Tarrida.
Face à cette violence barbare, poussant l'audace de la nécessaire rébellion jusqu'à enfiler une cagoule "tête de bite" trouvée sur Internet, la performeuse appelle à la création d'un nouveau mouvement de libération (PPL - Pines Pensantes Libres) dont les femmes prendront "naturellement"… la tête. Mais le clou de la dénonciation du féminicide est sans conteste le lancer de couteaux sur cible humaine - incarnée par elle - pratiqué en live par son partenaire. On frémit alors à l'idée que l'un d'entre eux puisse dévier de sa trajectoire, on ressent par procuration l'extrême violence de la mort qui menace.

Si un spectacle mérite d'être qualifié de "performance", c'est sans conteste celui-ci. Agnès Mateus, en rivalisant d'analyses iconoclastes, d'énergies immesurées et d'excès en tous genres - rappelant l'univers théâtral frontal et trash de Rodrigo Garcia, son compatriote - tend là aux machistes de tous poils un miroir "réfléchissant" les turpitudes préparant le lit de "l'impensable" du féminicide. Et l'on ne peut que saluer avec respect sa détermination hors normes, seule susceptible sur ce sujet tabou de perturber l'indifférence ambiante en décrochant à la face du vieux monde un uppercut bien frappé au coin de l'ironie mordante.

"Rebota rebota y en tu cara explota"

© Quim Tarrida.
© Quim Tarrida.
Création et mise en scène : Agnés Mateus et Quim Tarrida.
Avec : Agnés Mateus.
Collaborateurs : Tyron, Antoine Auger.
Espace sonore et audiovisuel : Quim Tarrida.
Espace de lumières : Carles Borràs.
Équipement technique : Carles Borràs et Quim Tarrida.
Traduction et sous-titres : Marion Cousin.
Durée : 1 h 15.
Prix de la Critique 2017 au meilleur spectacle des Nouvelles Tendances, prix FAD Sebastià Gasch Applaudissements 2018, prix Butaca 2018.

A été représenté dans le cadre du FAB, les 11 et 12 octobre 2019, au Carré-Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles (33).
Le FAB s'est déroulé du 4 au 20 octobre 2019.
>> fab.festivalbordeaux.com

Tournée 2020
23 et 24 janvier 2020 : La filature, Mulhouse (68).
Du 31 mars au 4 avril 2020 : Théâtre national Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique).
8 et 9 avril 2020 : TAP, Poitiers (86).
5 et 6 septembre 2020 : Roxy, Birsfelden (Suisse).

Yves Kafka
Mardi 22 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024