La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Lyrique

Des "notes qui parlent plus haut" : le "Capriccio" génial de David Marton à l’Opéra de Lyon

Bonnes gens, sans tarder, courez à Lyon pour découvrir le "Capriccio" de Richard Strauss, révélé brillamment par la mise en scène de David Marton et l’impeccable direction de Bernhard Kontarsky !



© Opéra de Lyon 2013.
© Opéra de Lyon 2013.
Eh oui, je me présente à vous bien repentante et mangeant mon chapeau, qui osais mettre en doute le travail du jeune metteur en scène tchèque ! À l’opéra, les enfants turbulents du Regie Theater sont il est vrai très souvent délectables ! Pensons à Kristof Warlikowski, tout à fait insupportable au théâtre - ah, les abîmes d’ennui de son "Tramway nommé Désir" à l’Odéon - et supérieurement doué à l’opéra - par exemple son "Parsifal" à Paris !

Ce "Capriccio" là, une "conversation musicale" en un acte, est une œuvre bien intéressante. Par son sujet, et les circonstances de sa création, par la personnalité même de son compositeur. Bref rappel de l’argument : une charmante comtesse française doit arbitrer en son château (au XVIIIe siècle) la dispute qui divise ses deux amoureux, un poète et un musicien, en présence d’un directeur de théâtre (La Roche), du frère de Madeleine (la comtesse), de la Clairon, actrice célèbre et de quelques domestiques. Sujet de ce débat qui fit vraiment rage au siècle des Lumières ? Une question bien théorique : des paroles ou de la musique, qui doit primer dans un opéra ?

© Opéra de Lyon 2013.
© Opéra de Lyon 2013.
Ce sera donc un méta-opéra, une œuvre qui pratique une constante mise en abîme : un opéra qui parle d’un opéra en train de s’écrire et qui interroge les conditions de création d’un bon opéra ! (Ouf !) Ce cœur de l’œuvre, David Marton s’en empare avec brio : le décor consiste en une coupe transversale d’une salle d’opéra avec scène, fosse d’orchestre et parterre. Dans le fond, les loges, dans une architecture à l’italienne, où tous les personnages viendront tour à tour s’installer, comme dans les autres espaces scéniques. Les costumes appartiennent à diverses époques, XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, comme il sied pour un chef d’œuvre qui se présente aussi comme une réévaluation enlevée de l’histoire lyrique occidentale.

Mais ce n’est pas tout, "Capriccio" n’est pas que cet opéra léger et élégant que promet l’histoire. Il est aussi le "testament" selon ses propres termes d’un compositeur munichois vieillissant et plutôt compromis avec le régime nazi. Il remplace Arturo Toscanini à Bayreuth en 1933, moins incommodé que le chef italien par les bruits de bottes. Il va même composer la musique de l’ouverture des Jeux olympiques à Berlin… et sa carrière est déclinante depuis fort longtemps. Alors, quelle muse le ressaisit à 77 ans, lui permettant de composer son dernier chef d’œuvre lyrique ? Et ce, en 1941. Vraie bonne question : en cette période de ténèbres, à quoi bon un opéra, cette "absurdité" (dixit La Roche) ?

© Opéra de Lyon 2013.
© Opéra de Lyon 2013.
C’est ce que nous explique admirablement David Marton aussi. Alors que Richard Strauss voit agoniser la culture allemande, celle portée haut par Goethe, Mozart et Beethoven - auquel son ouverture jouée par un sextuor de cordes rend hommage - il peut nous faire d’ultimes révélations. Et écrire l’un des plus beaux éloges de la beauté qui soit : celle des voix, des artistes, de la musique. Dans le plaidoyer de La Roche, le directeur de théâtre, à la scène IX, Richard Strauss lui-même semble parler "pour sortir de la dépression la plus noire / Et réveiller l’énergie évanouie". Et les questions esthétiques sont forcément politiques : une danseuse invitée par La Roche est incarnée chez Marton en trois danseuses à trois âges différents : l’enfance, la jeunesse, la vieillesse, autant d’allégories, de vanités, des chanteurs italiens affamés ; et tout ce petit monde qui subit les persécutions d’un Mr Taupe (souffleur dans l’opéra) devenu agent de la Gestapo.

Bref, l’illusion est dans la salle réservée aux spectateurs (c’est-à-dire les personnages principaux) et la vérité surgit sur la scène représentée. Comme le chantent les domestiques à la scène XI : "Nous voyons, nous voyons derrière les décors" ! L’explicite et l’implicite du livret* se révèlent donc sans fard, dans un enchaînement de scènes qui mélangent les genres et les registres, du burlesque au sublime, procédé éminemment ironique comme on le sait. Après un dernier aria d’un lyrisme qui déchire le cœur où la Comtesse se demande comment finir l’opéra sans trivialité, le majordome annonce que le repas est servi ! La gravité court uniment, autre facette de la sensibilité, comme si le compositeur savait déjà que l’Opéra de Munich, où est créée l’œuvre en 1942 - non loin des camps de concentration allemands - serait bombardé et détruit en 1945. Comme son monde ancien, peuplé des fantômes de Hofmannsthal et de Zweig.

La direction de B. Kontarsky est parfaite, le plateau des chanteurs homogène - avec un coup de chapeau à un La Roche/Victor Von Halem charismatique et la comtesse d’Emily Magee émouvante (même si elle ne peut atteindre les sommets d’une Élisabeth Schwartzkopf ou d’une Renée Fleming). Quant à David Marton, je vous prédis qu’il deviendra l’enfant chéri de grandes scènes lyriques. Un spectacle tout à fait indispensable donc, qui donne à penser bien après qu’on est sorti, marchant sur un nuage après le pur plaisir de la musique. Que demander de plus ?

© Opéra de Lyon 2013.
© Opéra de Lyon 2013.
Notes :
Des "notes qui parlent plus haut" : "Capriccio", scène XIII.
* "Regardez bien les farces vulgaires/Dont notre capitale se délecte./Leur emblème est la grimace,/La parodie est leur élément,/Leur substance est d’une obscénité immorale !/Leurs plaisirs sont grossiers et brutaux !/Les masques sont certes tombés/Mais on voit, au lieu de visages humains, des gueules de raie." "Capriccio", scène IX : on voit bien qui Strauss vise ici avec ces mots quasi brechtiens…


"Capriccio, conversation musicale" (1942).
Livret en allemand de Clemens Krauss et Richard Strauss.
Musique : Richard Strauss (1869 – 1949).
Surtitré en français.
Durée : 2 h 45 sans entracte.

Du 7 au 19 mai 2013.
Mardi 7, jeudi 9, samedi 11, lundi 13, mercredi 15, vendredi 17 mai à 20 h.
Dimanche 19 mai à 16 h.
Opéra de Lyon, 04 69 85 54 54.
1, place de la Comédie, Lyon 1er.
>> opera-lyon.com

Emily Magee, la Comtesse.
Christoph Pohl, le Comte.
Lothar Odinius, Flamand.
Lauri Vasar, Olivier.
Victor von Halem, La Roche.
Michaela Selinger, La Clairon.

Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon.
Bernhard Kontarsky, direction musicale.
David Marton, mise en scène.
Alan Woodbridge, Chef des Chœurs.
Barbara Engelhardt, dramaturgie.
Christian Friedländer, décors et costumes.
Henning Streck, lumières.
En coproduction avec La Monnaie/De Munt (Bruxelles).

Christine Ducq
Dimanche 12 Mai 2013

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024