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Théâtre

De la tragédie honteuse des migrants, Gilbert Ponté extrait le rayonnement lumineux de la vie

"De Pékin à Lampedusa", Théâtre Essaïon, Paris

Elle est frêle comme une adolescente, longiligne, belle. Elle surgit dans la salle voûtée de l'Essaïon transformée pour un court moment, par la magie de la vidéo, en horizon marin où resplendit un soleil sur le point de se coucher. Elle porte un bandeau d'athlétisme sur le front, des baskets et un jogging noir.



© DR.
© DR.
Elle s'appelle Malyka R.Johany et elle va interpréter et raconter la vie de Samia Yuzuf Omar, un personnage réel qui a existé il y a quelques années, dont l'existence est passée du plus haut des rêves au plus noir des cauchemars.

Une vie pourtant si courte. Samia est née en Somalie en 1991 - pays en guerres constantes, pays en proie aux bandes intégristes - dans une famille nombreuse dont le père meurt assassiné. Samia, à seize ans, doit s'occuper de ses cinq frères et sœurs, mais elle a une passion, la course à pied. Elle court. Elle défie le temps. Si bien, si fort, qu'en 2008 elle est à Pékin avec l'équipe olympique de Somalie et court le demi-fond avec les plus grandes, ses idoles, dans la plus illustre compétition du monde, elle n'a que dix-sept ans. Quatre ans plus tard, les Jeux sont organisés à Londres. Mais elle n'y participera pas.

La pièce, écrite et mise en scène par Gilbert Ponté, raconte cette période entre la gloire naissante d'une vive jeunesse et une noyade en mer au large des côtes italiennes avec d'autres migrants. Il raconte un gâchis. Une injustice sans nom. Une tristesse à pleurer. Mais pour cela, il prend le parti de s'intéresser à la lumière, la confiance, la force, la volonté et la passion qui ont animé cette jeune femme, qui l'ont poussée, malgré les obstacles, à croire encore en ses chances de participer aux Jeux de Londres, et tenter de rejoindre l'Europe en clandestin, une soif de vivre à tout prix !

© DR.
© DR.
C'est toute la force, l'intelligence et la grâce de ce spectacle que faire apparaître devant nous ce personnage dans tout son éclat. Rien de misérabiliste ici, rien de pathétique, elle est juste une sœur à qui l'on a envie de tendre la main.

À ce jeu, la jeune actrice Malyka R. Johany est sublime. Elle possède une simplicité qui rend son personnage proche de nous. Elle possède également une grâce physique extrêmement rigoureuse qui rend hommage à la beauté de l'athlétisme. Elle possède pour finir une voix chantée très belle.

La mise en scène est très fluide. Elle use de quelques accessoires et de projections vidéo bien utilisées qui nous transportent par moments à l'autre bout du monde. Une direction d'acteur rythmée même si parfois le jeu de la comédienne souligne un peu trop le sens de ses mots. Peu importe, ce que l'on comprend avec ce spectacle, c'est toute la fragilité et la beauté des êtres face à des ordres, qu'ils soient économiques, religieux, politiques, tous broyeurs de rêves.

"De Pékin à Lampedusa"

© Pierre François.
© Pierre François.
Texte : Gilbert Ponté.
Mise en scène : Gilbert Ponté.
Avec : Malyka R. Johany.
Lumières : Kosta Asmanis.
Costumes : Anne-Marie Molénat.
La Birba Compagnie.
Durée : 1 h 10.

Jusqu'au 9 janvier 2018.
Prolongé jusqu'au 7 janvier 2019
Lundi et mardi à 19 h 45.
Théâtre Essaïon, Paris 4e, 01 42 78 46 42.
>> essaion-theatre.com

Première publication le 29 septembre 2017.

Bruno Fougniès
Lundi 5 Novembre 2018

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© Pics.
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© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

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15/09/2023