La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Trib'Une

Comme un jeu de clés qu'on laisserait à l'amour qu'on pense avoir trouvé

La chronique d'Isa-belle L

Salvatore Caltabiano a troqué sa guitare pour l'escargot. Troqué ses mots "perso" pour ceux de Matei Visniec, auteur franco-roumain, prolifique et atypique. Oui, car il possède une qualité incroyable : c'est un vrai soutien régulièrement présent dans les salles pour humer les ondes du public face aux artistes qui s'emparent de son répertoire. Dans le cas présent : Salvatore. Excellent !



© Adam M.
© Adam M.
Matei Visniec était présent lundi 14 janvier dernier. Comme il le fut aussi le 13… C'est beau un auteur qui n'attend pas seulement de voir ses droits tomber…

Matei Visniec et Salvatore Caltabiano ont plusieurs points communs, inutile de dire qu'ils se sont bien trouvés : d'abord, les titres allongés de leurs spectacles. "Comment j'ai dressé un escargot sur tes seins" pour le premier", "Les femmes, le chocolat et moi" pour le second. Puis leur élégance. J'ai eu l'occasion d'échanger quelques mots avec l'auteur, d'une finesse et d'une humilité intimidantes. Mêmes qualités qu'on retrouve chez Salvatore. Enfin, dernier point commun, culminant même : le cœur. Dans les deux partitions ci-dessus citées, il est question du cœur, de l'amour et de toutes ses affinités.

Si Salvatore chantait parfois dans son premier spectacle, au son de sa guitare, cette fois, il incarne de sa voix posée et subtile le texte de l'auteur franco-roumain et cela lui sied très bien. Il pose le cœur du personnage qu'il incarne, comme un jeu de clés qu'on laisserait à l'amour qu'on pense avoir trouvé. Ce jeu de clés qui signifie parfois le début d'une belle histoire entre deux êtres passionnés. Les clés ouvrent la porte d'un nouvel horizon comme le cœur du personnage qui va s'ouvrir "piano-piano".

© Philippe Hanula.
© Philippe Hanula.
À défaut de l'araignée qui monte, qui monte, c'est à un escargot que l'auteur fait référence. L'escargot dans sa coquille qui sort petit à petit, rampant délicatement vers ce corps féminin dont il est tombé amoureux. La coquille représentée là par une caisse en bois dans laquelle le personnage parfois se réfugie, comme une bulle ou un cœur trop sonné qui soudain étouffe et se recroqueville.

Il est assez complexe parfois de rentrer dans l'univers d'un auteur. Un auteur comme Matei Visniec qui a ses propres codes, ses propres références, sa poésie et ses facéties. Le metteur en scène - Serge Barbuchia - respecte cela. Il ne cherche pas à en mettre plein la vue. Il simplifie. Le décor n'est pas "pauvre" mais sobre. La direction n'est pas caricaturale mais remarquable d'authenticité. Le choix de la musique très original.

Comme l'auteur, le comédien porte en lui de la délicatesse. Il y a dans la manière de Visniec d'appréhender le monde, beaucoup de bienveillance, même si parfois, masqué par de belles prouesses métaphoriques, on ne peut nier une certaine cruauté dans cette société. Il ne fait pas la leçon et le comédien n'impose rien. Il vit. Il raconte l'amour, la quête et les remises en question. Aller de l'avant, ouvrir le champ des possibles, ouvrir ou fermer cette boîte. Ouvrir ou fermer son cœur… s'ouvrir à l'autre.

L'autre, ce soir-là, c'était lui, elle, lui et elle, beaucoup de couples dans la salle. Et moi, assise, entre tous ces gens-là venus découvrir un spectacle dans une salle agréable : la Contrescarpe. Ce lieu est important car on y découvre du théâtre bien vivant, des auteurs contemporains et de la direction, un vrai engagement.

Salavatore et Matei se sont bien trouvés, car la séduction du comédien sans excès, sans artifices, ressemble beaucoup à la plume de l'auteur qui séduit d'année en année de plus en plus de lecteurs.

Une autre histoire d'amour est née, celle qui lie deux artistes vivants prêts à offrir au public une histoire de notre temps, soufflée de poésie, d'élégance et de grande intelligence. Qu'il fasse froid, qu'il pleuve, en métro, en vélo ou même sur le dos d'un escargot, je vous conseille vivement de profiter de cet excellent moment et d'avoir la chance de parler à ce magnifique duo.

"Comment j'ai dressé un escargot sur tes seins"

© Adam M.
© Adam M.
Texte : Matéi Visniec.
Mise en scène et scénographie : Serge Barbuscia.
Avec : Salvatore Caltabiano.
Musique originale : Eric Craviatto.
Lumières : Sébastien Lebert.
Construction du décor : Jean-Pierre Marmoz.
Avec la voix de Dorothée Leveau.
Durée du spectacle : 1 h.

Du 13 au 28 janvier 2019.
Dimanches 20 et 27 janvier à 15 h, lundis 14, 21, 28 janvier à 21 h 30.
Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5e, 01 42 01 81 88.
>> theatredelacontrescarpe.fr

Isabelle Lauriou
Lundi 21 Janvier 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024