La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

"Cœurs Sauvages" Trame sauvage de fils aériens pour des acrobaties hommage cœur et corps au Vivant

Compagnie fondée en 1996 par les artistes fil-de-féristes Antoine Rigot et Agathe Olivier, Les Colporteurs ont créé depuis plus d'une quinzaine de spectacles, tant dédiés au chapiteau, à la salle qu'à l'espace public. C'est à l'Espace chapiteaux de La Villette qu'ils présentent leur dernière création, "Cœurs Sauvages", une exploration du "Vivant" à la rencontre de ce qui fonde la survie, de la découverte à la continuité de l'espèce en passant par l'apprentissage, les besoins essentiels (quête de nourriture, solidarité, etc.) et la transmission…



© Sébastien Armengol.
© Sébastien Armengol.
Trame de fils de tendus formant un triangle relié par ses trois coins aux mâts métalliques par quatre ou cinq câbles, amplifiée, mise en valeur par un espace scindé de cordes, de câbles et de tissus, offrant de multiples chemins de traverses sauvages, instinctifs, propices à l'expression de l'animalité, tout en souplesse féline ou légèreté volatile, telle est la scénographie qui s'offre à nos yeux dès l'entrée dans l'antre circassien.

Dans une forme de préambule prémonitoire à la sauvagerie, une céleste mais éphémère funambule, jouant d'ailes d'oiseaux comme appuis aériens à l'équilibre, sur fond sonore de gazouillis adéquats, glisse sur l'agrès tendu d'où elle chutera victime de la férocité d'un chasseur. Puis en suite d'introduction, une forme d'animalité apparaît qui sera l'un des fils rouges alimentant les cœurs non encore apprivoisés. En ce commencement, telle une tortue bigarrée avançant de façon hésitante, les artistes, masse humaine solidaire, entrent sur la piste, regroupés sous une large toile patchwork.

© Sébastien Armengol.
© Sébastien Armengol.
L'histoire qui se raconte se construit au fil des pratiques circassiennes présentées, des moments/numéros acrobatiques exécutés sur les différents agrès. Et, ici, l'espace aérien est essentiel, aire de jeu en 3D, divisée, découpée en zones d'expressions artistiques et acrobatiques par les fils tendus ou jalonnée, tels des totems, par le tissu pendant, la corde lisse ou les mâts, fixe ou oscillant, ces derniers en suspension offrent d'ailleurs quelques beaux d'instants d'intensité éthérée, faîte de grâce et de douceur.

Transcription des multiples déplacements effectués, des divers frottements générés, des capteurs intégrés à ce maillage créent un univers sonore singulier où peuvent être entendues les tensions et les intensités émotionnelles probables ou improbables, échos des ressentis de chacun des artistes.

En complément de ces bruitages, trois musiciens annotent poétiquement - ou parfois plus énergiquement - de compositions musicale et électro-acoustique les ambiances émanant des séquences successives, empreintes soit de lyrisme et d'élégance, soit d'énergie et d'animalité expressive… où les artistes agissent en solo, en couple ou en meute dans des mouvements, des glissements, des équilibres et des chorégraphies dessinant un langage circassien imaginé et conçu par Antoine Rigot et Agathe Olivier.

© Sébastien Armengol.
© Sébastien Armengol.
Leur mise en scène fait preuve de beaucoup de finesse et d'intelligence dans la mise en place des enchaînements, des effets de chaque tableau (dont celui en miroir, pied sur pied inversé, au fil de fer), du rythme des entrées et des sorties, proposant une écriture circassienne des plus subtiles et imagées.

Dans une succession de "scènes" magiques et envoutantes pouvant thématiser la découverte, l'apprentissage, la quête de nourriture ou la solidarité, entre autres, les interprètes (tous talentueux et ayant un réel charisme où qu'ils ou elles soient situés(es) dans l'espace du chapiteau ou au sol sur la piste) captivent nos sens, nos perceptions émotionnelles par la beauté d'exécution des numéros et une maîtrise technique indéniable quel que soit l'agrès… tissu aérien, corde lisse, fil, mât.

Et dans ces jeux dansés, glissés, exprimant une gestuelle athlétique ou une narration opposant les équilibres et déséquilibres de l'être humain (très bien concrétisée par les funambules), l'humour à sa place avec la clown acrobate Anniina Peltovako qui excelle dans ce double exercice des chutes et de la gestique maladroite de l'Auguste et la réalisation d'habiles et talentueuses figures au fil. Sur fond de jazz manouche, dans une suite d'expressions burlesques, elle tente de grimper sur le fil, s'accrochant et virevoltant autour de celui-ci… et finissant par y arriver pour nous offrir une incroyable partition de maladresses acrobatiques tout en réussissant à s'y maintenir… Comme une enfant apprenant un nouveau jeu !

On a affaire ici à un véritable langage narratif circassien. Les actions, les situations illustrant le Vivant sont exprimées par les expressions corporelles, les apports chorégraphiques ; et leur application à chacun des agrès. Il en émane une étonnante poétique organique qui fait de ce spectacle de la Cie Les Colporteurs une création unique et originale autour principalement des performances au fil de fer… mais pas que !

"Cœurs Sauvages"

© Sébastien Armengol.
© Sébastien Armengol.
Création 2022.
Conception, écriture et mise en scène : Antoine Rigot, Agathe Olivier.
Avec, de la piste à la coupole : Valentino Martinetti (danse, acrobatie), Anniina Peltovako (fil, clown), Riccardo Pedri (corde lisse), Molly Saudek (fil), Manuel Martinez Silva (tissu aérien), Marie Tribouilloy (mâts fixe et oscillant), Laurence Tremblay-Vu (funambule).
Musique : Damien Levasseur-Fortin (guitare, contrebasse), Coline Rigot (violon, voix), Tiziano Scali (électro-acoustique).
Collaboration à la chorégraphie : Molly Saudek.
Composition musicale et électro-acoustique : Damien Levasseur-Fortin, Tiziano Scali.
Collaboration à l’écriture musicale : Coline Rigot, Raphaël-Tristan Jouaville.
Scénographie : Antoine Rigot, Patrick Vindimian.
Lumières : Éric Soyer.
Costumes : Hanna Sjodin, assistée de Camille Lamy.
Direction technique : Pierre-Yves Chouin.
Régie chapiteau : Christophe Longin, Florent Mérino.
Régie : Olivier Duris (lumières), David Lockwood (plateau), Stéphane Mara (son).
Production : Cie Les Colporteurs.
Tout public dès 7 ans.
Durée : 1 h 30.

Du 8 mars au 2 avril 2023.
Du mercredi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h et dimanche à 16 h.
Espace Chapiteau, Parc de la Villette, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com

© Sébastien Armengol.
© Sébastien Armengol.

Gil Chauveau
Jeudi 16 Mars 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024