La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Concerts

Clément Mao-Takacs, un chef charismatique

Avec un très beau CD sorti en septembre 2019 présentant un panorama des œuvres de 1994 à 2012 combinant production acoustique et source électronique de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, Clément Mao-Takacs, à la tête de l'Oslo Philharmonic Orchestra, s'affirme comme un des chefs les plus en vue de la jeune scène française.



© DR.
© DR.
Rencontre avec un jeune homme brillant, passionné, très soucieux d'accompagner, grâce à son art, les évolutions de la société.

Christine Ducq - Vous semblez désormais être un des chefs attitrés de Kaija Saariaho. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Clément Mao-Takacs - Je suis amoureux de sa musique depuis mes années d'études au Conservatoire ! Et même avant, lorsque j'ai découvert son opéra "L'Amour de loin" et ses premières œuvres : un vrai coup de foudre ! J'ai écrit divers articles et mémoires sur son œuvre, puis je l'ai rencontrée et interviewée. En 2006 j'ai assisté à la création de son oratorio "La Passion de Simone" à Vienne - autre coup de foudre. En 2013, avec le metteur en scène Aleksi Barrière*, nous avons voulu le monter et Kaija Saariaho a accepté d'en écrire une version de chambre pour dix-huit instruments qui a été créée par Secession Orchestra. C'est un spectacle qui tourne toujours et que nous avons déjà donné treize fois - et je compte bien l'enregistrer un jour prochain !

Kaija Saariaho a, je crois, apprécié ma façon de travailler son œuvre et de l'interpréter en y consacrant autant de temps et d'énergie que pour Bach, Wagner ou Debussy ; elle m'a fait confiance et j'ai même l'honneur d'être dédicataire de la version de chambre de "Quatre Instants". Nous travaillons beaucoup ensemble désormais et sommes devenus amis. Je participe d'ailleurs à la création de son nouvel opéra - en assistant Susanna Mälkki à Aix-en-Provence et Amsterdam, puis en le dirigeant à Helsinki puis à San Francisco. C'est tellement merveilleux de fréquenter des compositeurs vivants : je peux dialoguer avec eux, leur poser des questions sur les partitions quand j'ai un doute -, ce qu'on aimerait parfois faire avec Mozart, Mahler ou Ravel…

© DR.
© DR.
Pourrait-on affirmer que vous êtes comme elle un grand amateur de poésie ? Entre nombreux autres arts peut-être…

C. M.-T. - C'est vrai, je lis beaucoup - mais pas que de la poésie ! Je suis en admiration devant les hommes de vastes connaissances, comme le Zénon créé par Marguerite Yourcenar ou Leonardo da Vinci. Quand on lit la lettre de ce dernier à Ludovico Sforza dans laquelle il énumère tout ce qu'il sait faire, la peinture arrive en dernier lieu, presque comme un post-scriptum… Or, à notre époque, on s'étonne qu'un chef puisse être un pianiste, un compositeur, un lecteur passionné, qu'il puisse visiter des expositions, échanger avec d'autres artistes et penseurs, s'intéresser à la cuisine, écrire des essais... Pourtant, ces différents centres d'intérêt se nourrissent mutuellement et enrichissent la pensée ; c'est simplement une manière de s'exprimer dans différentes langues, de passer de l'une à l'autre, et d'éprouver les proximités et les divergences… Même si la musique et la direction d'orchestre en particulier demeurent mon espace d'expression naturel et préféré !

Rédigez-vous souvent les livrets de vos programmes, tel celui (très érudit) de votre concert d'ouverture de la saison musicale du Musée du Louvre en septembre 2019 ?

C. M.-T. - Pas systématiquement, mais il m'arrive assez souvent de le faire. J'aime les programmes qui sortent de l'ordinaire et je me réjouis de les expliciter : cela fait aussi partie de mon travail de "passeur". Ceci explique pourquoi j'aime diriger aussi dans de petites salles, non soumises à l'impératif économique du "mass entertainment", où nous pouvons de surcroît avoir une autre relation avec le public - comme la rencontre à la fin du concert pour discuter, ce qui est toujours un moment d'échange(s) très fort.

© DR.
© DR.
Combien de musiciens pour le Secession Orchestra ?

C. M.-T. - Nous formons un "pool" (comme disait Boulez) de quarante-cinq musiciens mais notre formation peut présenter jusqu'à quatre-vingt-dix instrumentistes pour une symphonie de Tchaïkovsky par exemple. Nous jouons aussi en formation plus réduite (orchestre de chambre). Notre format le plus courant se situe aujourd'hui autour de quarante à cinquante musiciens, ce qui nous permet de mettre en avant notre travail sur la clarté des plans sonores, la lisibilité des lignes musicales - particulièrement perceptibles dans des salles moyennes comme l'Auditorium du Louvre, où nous donnerons un second concert en mars 2020 (une soirée appelée "Novecento" dédiée à Puccini, Macagni, Respighi et Dallapiccolla pour la "Saison Italienne" du musée) avec la soprano Marie-Laure Garnier.

Les éléments les plus importants de notre travail sont l'exigence (nous prenons le temps de creuser notre interprétation) et la qualité de l'écoute entre les musiciens, entre les différents pupitres. Un orchestre doit développer la même écoute que celle de membres d'un quatuor à cordes, y compris - surtout ! - dans les passages les plus denses et complexes.

Secession Orchestra, c'est un orchestre pour notre temps ?

C. M.-T. - Oui. Pour nous, un concert est un spectacle vivant, en prise directe avec la société dans laquelle nous vivons et œuvrons. Il peut et doit être l'occasion d'une réflexion collective sur le monde qui nous entoure. Humblement, à notre mesure, à chacun de nos concerts, nous essayons d'accompagner l'évolution de cette société - qu'il s'agisse de questions touchant au féminisme (de la visibilité des femmes aux violences qui sont commises à leur encontre en passant par la parité), de représentation de la diversité, de transmission aux jeunes générations, de désertification culturelle, de l'accompagnement de fin de vie, des publics en situation de handicap… C'est aussi pour cela que j'ai créé Secession Orchestra : un orchestre qui relit le passé pour le rendre présent, qui relie le passé et le présent, et dont chaque manifestation artistique est l'occasion d'un partage humain, quel que soit le lieu où nous nous produisons.

© DR.
© DR.
Vous avez créé deux festivals. Où en sont-ils ?

C. M.-T. - Le festival "Intervalles" se déploie à Paris et en Île-de-France (notamment dans l'Essonne où se dessine d'ailleurs une résidence de Secession Orchestra pour les années à venir). "Terraqué" est ancré en Bretagne, à Carnac (Morbihan). En 2020, ce sera leur quatrième édition. En plus de la présence de Secession Orchestra, y viennent, depuis la première édition, de nombreux instrumentistes, comédiens(nes), artistes lyriques (Marie-Laure Garnier, Romain Dayez, Edwin Fardini, Irina de Baghy, Fiona McGown, Yu Shao, Marion Lebègue, Axelle Fanyo, Marianne Seleskovitch, etc.) qui sont devenus au fil du temps pour certains d'entre eux des amis(es). C'est toute une nouvelle génération qui pense différemment la "carrière", davantage autour de projets qui nous tiennent à cœur et dans une collaboration étendue sur le long terme - une sorte de famille d'artistes.

Ces deux festivals sont aussi deux belles histoires avec des publics très mélangés - qui va de gens qui ne connaissent pas la musique à des mélomanes très exigeants -, et surtout d'une fidélité qui réchauffe le cœur. À Carnac, nous sommes complets tous les soirs durant une dizaine de jours et le public qui n'a pu entrer reste sur les parvis de l'église pour nous écouter du dehors ! Ce succès va d'ailleurs nous conduire à la construction d'un théâtre lyrique pour accueillir tout au long de l'année ce public de passionnés de musique classique et contemporaine : une autre aventure qui s'annonce palpitante !

* Clément Mao-Takacs a créé et codirige, avec le metteur en scène Aleksi Barrière, la compagnie de théâtre musical et d'opéra de chambre "La Chambre aux Échos".

Secession Orchestra est en résidence à la Fondation Singer-Polignac et au Petit Palais ; il est soutenu dans son développement et ses projets par la DRAC Île-de-France et par la Caisse des Dépôts, son mécène principal.

18 mars 2020 à 20 h
"Novecento", dans la série des "Concerts du Soir".
Marie-Laure Garnier, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Auditorium du Musée Louvre, Paris 1er.
Programme : Respighi, Rota, Dallapiccola, Puccini, Mascagni, Tosti, etc.

2 avril 2020 à 20 h 30.
"Mort et Transfiguration"
Marion Lebègue, mezzo-soprano.
Axelle Fanyo, soprano.
Secession Orchestra,
Clément Mao-Takacs, direction.
Collège des Bernardins
Programme : Richard Wagner, Richard Strauss, Gustav Mahler.

12 et 13 avril 2020.
"La Passion de Simone" (Saariaho/Maalouf).
La Chambre aux échos et Avanti! Chamber Orchestra.
Aleksi Barrière, direction scénique.
Clément Mao-Takacs, direction musicale.
Musiikkitalo (Maison de la Musique), Helsinki (Finlande).

● "Kaija Saariaho".
Graal Théâtre - Circle Map - Neiges - Vers toi qui es si loin.
Peter Herresthal, violon.
Oslo Philharmonic Orchestra.
Clément Mao-Takacs.
Label : Bis Records.
Distribution : Outhere Music.
Sortie : septembre 2019.

>> secessionorchestra.com

Christine Ducq
Jeudi 12 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Concerts | Lyrique












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024