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Humour

Christophe Alévêque "Vieux Con" Un art maîtrisé de l'humour féroce et insolent

"On peut être vieux con et moderne à la fois !" Telle est la sentence qui se dégage sans ambages du nouveau spectacle de Christophe Alévêque, tout en étant le constat lucide d'un humoristique, d'un père et d'un humain bon vivant que l'époque que nous vivons exaspère en bien des points.



© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Fidèle depuis plus de douze ans au Théâtre du Rond-Point (et réciproquement), Christophe Alévêque est à nouveau sur la scène de la salle Renaud-Barrault pour nous faire part de ses réflexions acerbes sur le monde d'aujourd'hui mais en usant de mélodies humoristiques, voire clownesques mais surtout engagées, décalées, hors des normes de plus en plus établies par les détenteurs de la bien-pensance. Le résultat nous procure des bouffées d'air salvatrices… Et il réussit encore à nous surprendre !

L'écriture de ce nouveau spectacle a commencé lors du premier confinement. "… la crise sanitaire a été plus qu'un révélateur, ça a été un vrai déclencheur… (…) C'est la réaction de la population qui m'a le plus alarmé. L'absence de débat, l'obéissance générale. J'ai trouvé ça terrible… Ce n'était plus possible, je n'étais plus en phase avec rien ! (…) Dès le deuxième jour du confinement ! J'ai pris des notes, et noté encore, jusqu'à ce que cela construise un texte puis un spectacle, qui n'est d'ailleurs pas basé sur la crise sanitaire. C'est plutôt un feu d'artifice de mauvaise humeur, qui aboutit à un grand éclat de rire ! Ce qui m'a le plus atteint, c'est cet ordre moral qui nous est tombé dessus…"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Prenant comme fil rouge sa nouvelle paternité et la transmission qui y est associée, Christophe Alévêque fait un large tour d'horizon de tous les aléas, les maux, les changements vécus ces dernières années, tant du point de vue moral, social, sociétal qu'idéologique... quitte à devenir un "vieux con résistant" apte à donner des éclairages lucides mais réfléchis à sa progéniture. "L'empire de la bien-pensance a fait basculer le résistant ordinaire, le libre penseur, dans le camp des vieux cons… C'est toute la difficulté ! Il n'est plus du tout dans le bon couloir, le libre penseur, celui qui pense et qui s'exprime, librement, sans aucune censure."

Avec l'aisance verbale et la talentueuse éloquence qui le caractérise, il surfe autant sur de petits agacements - bière et vin sans alcool, journée sans tabac, non-voyant au lieu d'aveugle, mal-entendant au lieu de sourd, etc. -, petits mais révélateurs d'une pensée aseptisée, que sur des sujets à haut risque, voire explosif, comme celui, délicat, du féminisme, toujours casse-gueule pour un homme.

Ici, Christophe Alévêque revendique une liberté d'expression totale et sans assujettissement aux inquisiteurs d'un conformisme réducteur, une parole sans autocensure ni censure. Si les évolutions liées, entre autres, au mouvement #Metoo ont enfin permis la reconnaissance et la condamnation des violences faites aux femmes, des viols, ainsi que l'acception de notions comme le non-consentement, il est néanmoins possible de restaurer un vrai dialogue entre les deux sexes. "Ne rendons plus des hommages mais des femmages." "Mais où est le plaisir ? Si ça continue, le corps ne servira plus qu'à mettre des vêtements dessus." "Comment je vas expliquer cela à mon petit ange ?"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
Il n'hésite pas non plus à plonger dans certains paradoxes et quelques absurdités de notre actualité en insérant une récréative "revue de presse". "Plus on parle de laïcité, plus l'intégrisme religieux se développe, plus on parle d'écologie, plus la planète et le climat vont mal, plus on parle du vivre ensemble, plus les communautarismes se développent, plus on parle de société multiraciale, plus il y a de multi-racistes, plus la démocratie va mal, plus il y a de débats…"

Bien sûr, bien d'autres thèmes sont abordés avec beaucoup de dérision et de sel, dispensant une jubilation communicative. Cette liberté d'expression qui peut-être, pour certains, pourrait paraître "outrancière", sert de soupape salvatrice. C'est aussi ça le théâtre, une forme d'exutoire… et un art du contrepoint !

Pour clore ces quatre-vingt-dix minutes où l'on est sorti des sentiers balisés par la pensée officielle, le manichéisme ambiant, le victimisme institutionnel, Christophe Alévêque nous offre une reprise de "Danser encore" de HK, et entraîne le public - qui ne se fait pas prier - dans reprise du refrain :
Nous on veut continuer à danser encore/
Voir nos pensées enlacer nos corps/
Passer nos vies sur une grille d'accords.

"Vieux Con"

© Philippe Escalier.
© Philippe Escalier.
De et avec : Christophe Alévêque.
Mise en scène : Philippe Sohier.
Mise en lumière : Frédéric Brémond.
Production : Smog Prod., en accord avec Alaca Prod. et Malotino.
Spectacle créé en juin 2020.
Durée : 1 h 30.

Du 10 mars au 3 avril 2022.
Du mardi a dimanche à 18 h 30.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 00 .
>> theatredurondpoint.fr

Spectacle spécial "présidentielle 2022",
les dimanches 10 et 24 avril, 1er et 2nd tour de l'élection.
Christophe Alévêque sera sur scène pour faire sa revue de presse, à partir de 18 h 30.
Résultats en direct à 20 h !

Tournée
6 avril 2022 : Nouzonville (08).
9 avril 2022 : Villeparisis (77).
28 avril 2022 : Sérignan (34).
29 et 30 avril 2022 : Marseille (13).
10 mai 2022 : Vendôme (41).
25 juin 2022 : Hirson (02).

Gil Chauveau
Vendredi 25 Mars 2022

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
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Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
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La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023