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Théâtre

"Chamonix" Un spectacle qui pose cette question cruciale et épineuse : faut-il éradiquer ou non l'espèce humaine ?

Cette question aurait semblé stupide, vaine et sans intérêt, il y a quelques années, mais à l'aube d'une période où toutes les perspectives de l'espèce humaine sont chamboulées par les lois de la nature, elle vient soudainement chatouiller l'imaginaire. Posons-là donc. C'est ce que fait la compagnie des 26000 Couverts, compagnie connue pour ses performances de théâtre de rue déjantées, oniriques et humoristiques. Mais pour Chamonix, la troupe rentre dans les murs des théâtres pour parler de l'espace et de la planète, bref du dehors, et déjà la démarche est cocasse.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Une farandole de dérision sur un fond de pessimisme assumé tourne autour de cette question aux allures de blague. Car c'est une blague, sans aucun doute. Comment penser que le fleuron du vivant (l'Homme) devienne si impuissant pour son propre destin ? Et, surtout, penser qu'il soit devenu la victime de cette nature qu'il a mise des millénaires à domestiquer, soumettre et purger ! Une blague que la Compagnie 26000 Couverts déroule pendant près de deux heures durant lesquelles se combinent apparitions de personnages haut en couleur, scénettes comiques et parties chantées, dansées, chorégraphiées pour donner à savourer, in fine, une véritable comédie musicale explosive et futuriste.

L'histoire nous emmène au VIe millénaire après Jésus-Christ. En ces temps lointains, la planète terre n'a plus à supporter la présence de l'humanité depuis près de quatre mille ans. Celle-ci a été éradiquée à l'automne 2023. Mais à bord d'un vaisseau spatial une poignée d'humains rescapés s'apprête à atterrir. Quatre mille ans qu'ils vivent et se reproduisent dans ce vaisseau autonome. Ils ont ainsi créé une sorte de micro-civilisation, avec ses lois, ses rites et son langage, en partie hérités de leurs lointains ancêtres, en partie recyclés avec ce qu'ils avaient. C'est ainsi que l'on va découvrir entre autres, le secret que cache le titre énigmatique : Chamonix.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Cette micro-civilisation (née d'une mère, seule rescapée de l'éradication de l'humanité) s'est en effet créée une sorte de religion à travers l'adoration d'un texte sacré, seul vestige du passé lointain de leur existence, et de leur vaisseau spatial. Un texte censé indiquer aux humains la voie à suivre. Or, il se trouve que ce vestige conservé religieusement dans un reliquaire est en fait un prospectus datant d'aujourd'hui qui fait l'éloge de la station de ski de Chamonix, ses pistes, son golf, sa douceur de vivre. L'idée donne le ton de la loufoquerie de l'ensemble du spectacle.

Le spectacle regorge de provocations hilarantes et d'une liberté de ton sans bornes. Les inventions scéniques, portées par des costumes extravagants et des accessoires de jeu poétiquement absurdes (comme ce buffet à voyager dans le temps, justement prénommé Bernard), mais aussi par des situations et des scènes jubilatoires de naïveté. À ce propos, les auteurs Philippe Nicolle et Gabor Rassov ont poussé l'exigence jusqu'à inventer une sorte de langage pratiqué par ces rescapés de l'espace. Ils font s'exprimer les personnages dans un langage fait de radicaux de mots assemblés comme des briques, de plusieurs langues différentes, sorte de patchwork fourmillant de déformations et d'amputations de vocables, et pourtant l'on comprend parfaitement ces échanges ce qui est une forme d'exploit et une source inépuisable d'assonances comiques.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Et puis il y a la musique. La plupart des interprètes sont également musiciens au point de former par moments un vrai jazz-band avec saxo, clarinette, percus, pianos et guitare, sans oublier un instrument étrange capable de produire des nappes électros et des sons clairement artificiels. Un véritable orchestre qui accompagne une dizaine de chansons, elles aussi extrêmement comiques. Le ton général du spectacle est ainsi un immense clin d'œil au public et tous les comédiennes et comédiens s'ingénient à ne pas se prendre au sérieux, même s'ils font tous preuve d'une grande rigueur. C'est à ce prix que le comique fonctionne.

Le seul reproche est peut-être une certaine longueur des parties chantées et une accumulation de gags dont les surprises finissent par s'émousser à la longue. Il reste cependant que cette farce dystopique écorche avec une belle santé la gloriole humaine et met en lumière l'étrange manière qu'ont nos sociétés, nos civilisations, de foncer de façon suicidaire dans le gouffre qu'elles ont elle-même ouvert.

Vu au Théâtre Molière, Sète, le 6 janvier 2023.

"Chamonix"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Écriture : Philippe Nicolle et Gabor Rassov.
Mise en scène : Philippe Nicolle.
Assistantes à la mise en scène : Sarah Douhaire, Lise Le Joncour.
Création musicale : Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf et Anthony Dascola.
Chorégraphie : Laurent Falguieras.
Avec : Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Olivier Dureuil, Patrick Girot, Erwan Laurent, Clara Marchina, Florence Nicolle, Ingrid Strelkoff.
Régie générale et plateau : Patrick Girot.
Régie plateau : Laurence Rossignol.
Son : Anthony Dascola.
Lumières : Paul Deschamps.
Scénographie, construction et accessoires : Patrick Girot, Julien Lett, Michel Mugnier, Laurence Rossignol.
Costumes : Camille Perreau, Sara Sandqvist.
Marionnette : Carole Allemand
Maquillage, coiffure : Pascal Jéhan.
Tout public à partir de 8 ans.
Durée: 2 heures.
Production 26000 Couverts.

Tournée
10 et 11 janvier 2023 : Le Cratère - Scène Nationale, Alès (30).
14 et 15 janvier 2023 : Le Parvis - Scène Nationale, Tarbes (65).
24 janvier 2023 : Théâtre Edwige Feuillère - Scène Conventionnée, Vesoul (70).
3 et 4 février 2023 : Théâtre, Corbeil-Essonnes (91).
9 et 10 février 2023 : Les Quinconces et L'Espal - Scène Nationale, Le Mans (72).

Bruno Fougniès
Samedi 14 Janvier 2023

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À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
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Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

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Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
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Brigitte Corrigou
06/03/2024
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© Pics.
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© Christel Billault.
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Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023